Une vidéo de l’artiste Zhou Tiehai, exposée dans la collection de Guy et Myriam Ullens à l’UCCA à Pékin, résume assez bien la situation actuelle de l’art contemporain en Chine. Découpé en plusieurs saynètes inspirées du cinéma muet, le film montre notamment un étranger affirmant à des mandarins chinois : « vous avez la médecine traditionnelle, la sorcellerie, mais pas d’art. »
Un autre sketch met en scène des artistes chinois déclarant : « quelle que soit l’exposition, je veux en faire partie. » Le film s’achève enfin sur une reconstitution du Radeau de la méduse où les artistes naufragés déclarent : « nous ne pouvons aller de l’avant. Nous ne pouvons pas retourner en arrière non plus. » Tout est dit ou presque. Tiraillés entre tradition et modernité, les artistes chinois guignent vers l’Occident avec un goût du remake. Les premières œuvres de Zeng Fanzhi empruntent ainsi beaucoup à l’expressionnisme allemand d’un George Grosz tandis que sa série actuelle semble marquée du sceau de Jorg Immendorff. De même certaines œuvres de Yang Shaobin ou de Yin Zhaoyang braconnent du côté de Francis Bacon. Dans son livre Modernités chinoises (aux éditions Skira, 2003), le spécialiste Jean-Marc Decrop relève bien le malaise des Occidentaux face à l’art émanant de l’Empire du Milieu : « De la Chine, dont chacun a une vision mythique et idéalisée, on attend quelque chose de différent, de radicalement autre. Or, les pratiques de ces artistes apparaissent étrangement familières, variantes du langage conceptuel et de pratiques de beaucoup d’artistes du village global. » Pour Jérôme Sans, directeur de l’UCCA à Pékin, « ceux qui disent que ces artistes font de la resucée n’ont pas les clés pour comprendre leur travail. Ce ne sont pas des ouvriers du marché ; ils ont une vraie démarche. On dit qu’ils se répètent, mais personne ne le dit de nos grands héros français comme Buren ou Boltanski. »
Le droit de copier
La propension à la copie ne se limite évidemment pas au champ artistique. Elle se vérifie dans tout le secteur industriel. Un homme d’affaires occidental nous a même confié avec humour : « En Chine, nous ne sommes pas dans le copyright, mais dans le right to copy ! » Sotheby’s en a récemment fait les frais. En septembre, l’auctioneer a remporté un procès contre une maison de ventes du Setchuan, Su Fu Bi. Celle-ci avait reproduit dans une publicité publiée dans un journal de Hongkong des pages entières des catalogues de Sotheby’s, détournées pour sa propre promotion ! Le contrevenant a dû se fendre d’un mea culpa dans le Guangming Daily et régler la modeste somme de 110 000 yuans (11 000 euros). Surtout, Sotheby’s a réussi à se faire reconnaître auprès du Tribunal de Pékin comme une « marque célèbre », bien que non déposée en Chine.
Cette tendance à plagier l’Occident sur le plan artistique ou industriel n’induit en rien une acceptation aveugle de l’Ouest. Si certains artistes flattent le goût occidental, c’est juste pour mieux exporter leurs œuvres. Les galeries européennes ou américaines qui sont rentrées plus ou moins bredouilles de la foire de Shanghaï ShContemporary en savent quelque chose. « L’esthétique occidentale n’est pas dans le sang des Chinois, contrairement aux Russes qui peuvent acheter dans plusieurs catégories, indique Kevin Ching, P-DG de Sotheby’s à Hongkong. Les Chinois sont repliés sur eux-mêmes. »
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Le goût des Chinois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Le goût des Chinois