FRANCE
Essentielles pour la circulation de l’information sur le marché de l’art, les photographies des œuvres passées en vente aux enchères publiques bénéficient d’une protection juridique, imposant ainsi une charge aux bases de données en ligne.
L’information constitue l’un des enjeux centraux du marché de l’art. Assurant la traçabilité d’une œuvre, fondant son pedigree, dénotant l’évolution de sa cote, l’information épouse diverses formes. De la description du médium de l’objet à celle de ses dimensions, celle-ci peut être purement technique. De l’indication de ses propriétaires successifs à celle de ses expositions consécutives, elle offre un ancrage historique. Mais l’information peut également prendre les contours d’une expertise, condensée au sein d’une fiche, ou se concrétiser sous la forme d’une ou de plusieurs photographies.
Toutes ces informations sont réunies au sein d’un catalogue de vente, ouvrage dont la forme demeure libre mais dont les mentions engagent la responsabilité du commissaire-priseur. À cet égard, la fonction informative du catalogue implique pour les photographies des objets reproduits un impératif de sincérité et de neutralité. La reproduction ne doit nullement purger l’œuvre de ses imperfections ou des marques du temps passé, au risque d’offrir à un adjudicataire déçu de son acquisition un motif de nullité. C’est pourquoi le photographe devrait nécessairement s’effacer devant l’œuvre. Mais si cette assertion s’avère d’évidence pour les objets en deux dimensions tels que des tableaux, lithographies ou gravures, elle l’est moins pour les objets en trois dimensions dont la mise en espace et en lumière peut offrir au photographe l’occasion d’imprimer le reflet de sa personnalité.
Une telle distinction pour les reproductions figurant dans les catalogues de vente semble désormais solidement établie depuis trois affaires récentes, toutes engagées par un seul photographe, Stéphane Briolant, à l’encontre des deux plus importantes sociétés de résultats d’enchères que sont Artprice et Artnet. Et la décision rendue le 31 janvier 2018 par la Cour de cassation, à l’occasion de l’examen d’une de ces affaires, semble clore définitivement un débat encore en suspens : des photographies réalisées pour des catalogues de vente peuvent constituer autant d’œuvres de l’esprit dont l’utilisation sans autorisation est nécessairement sanctionnée au titre de la contrefaçon. Cependant, une telle solution demeure limitée aux seuls objets permettant au photographe d’adopter un angle de prise de vue particulier, un cadrage spécifique, un éclairage déterminé afin de faire ressortir des contrastes, des jeux d’ombre ou de lumière. Soit autant de parti pris qui ne peuvent souvent être retenus que pour des objets en trois dimensions, parfois reproduits sans détourage.
Ces critères sont constamment rappelés par la cour d’appel de Paris. Celle-ci a retenu, en 2013, en 2015 et en 2016, l’éligibilité d’un nombre particulièrement important de photographies réalisées et reproduites sans autorisation dans les bases de données d’Artprice et d’Artnet, au détriment de leur auteur. Le seul fait que ce dernier réponde à une commande de la part d’un opérateur de ventes volontaires n’obère nullement une potentielle reconnaissance de son statut d’auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle. La cour d’appel de Paris avait su, aux termes de sa décision du 30 septembre 2016, synthétiser les enjeux en la matière en retenant qu’un photographe « conserve une liberté d’appréciation de ce qui fait la particularité de la pièce et […] peut dès lors faire des choix personnels sur les techniques photographiques à utiliser pour mettre en relief celle-ci selon sa propre sensibilité ». Un tel statut d’auteur lui sera, en revanche, dénié dès lors qu’il n’a mis en œuvre qu’un savoir-faire technique, répondant alors aux contraintes des codes de photographies de catalogues les plus divers, ou qu’il n’a pu imprimer son travail du sceau de sa personnalité.
Les trois procédures intentées ont toutes pour dénominateur commun un seul et unique photographe qui avait su conserver ses droits d’auteur sur l’ensemble des reproductions des objets. Il pouvait donc agir de sa propre initiative pour faire valoir l’existence de contrefaçons tant en raison de la violation de ses droits patrimoniaux – essentiellement le droit de reproduction – que de son droit moral, en raison du retrait de son nom sur les bases de données. Une telle situation s’explique au regard du contrat le liant aux opérateurs de ventes volontaires. Lié par un contrat « de louage d’ouvrage », ou contrat « de service » dans sa qualification contemporaine, le photographe n’avait ainsi jamais cédé ses droits d’auteur aux maisons de ventes et en demeurait seul investi. La situation se révèle tout autre pour les photographes salariés. Or, lorsqu’une cession automatique des droits d’auteur en faveur de l’employeur existe au sein du contrat de travail, le photographe salarié cède nécessairement ses droits au profit de la maison de ventes. Là encore, la qualité de salarié ne joue pas sur la reconnaissance de la photographie comme œuvre de l’esprit, mais seulement sur la titularité initiale des droits d’auteur. Les maisons de ventes salariant leur photographe pourraient alors elles aussi engager de telles procédures.
Mais si, en 2008, quelques-unes d’entre elles avaient bien tenté, souvent avec succès, de faire valoir leurs droits à l’encontre des bases de données recueillant les informations issues de leurs vacations, ces actions judiciaires n’avaient été fondées que sur la reprise d’éléments publiés dans les catalogues de vente et non sur les reproductions d’œuvres. Le changement de politique interne opéré par Artprice en mai 2016 pourrait néanmoins modifier potentiellement la donne. La société lyonnaise refuse désormais de retirer de ses services les reproductions de lots à la demande des opérateurs de ventes volontaires. Seuls les titulaires des droits sur les œuvres et objets pris en photographie peuvent solliciter un tel retrait, au détriment des opérateurs, priés de formuler une telle demande par le biais de leurs vendeurs ou acheteurs. Depuis lors, la maison de ventes Ader refuse aux principaux acteurs de l’information en ligne de reprendre ses catalogues et les informations qu’ils contiennent. D’autres maisons pourraient suivre prochainement. Deux intérêts divergents s’opposent ainsi. Pour les bases de données, il s’agit de délivrer des informations les plus sincères et précises possible, permettant de retracer l’historique des vacations d’une même œuvre. Car celle-ci peut parfois connaître des descriptions fluctuantes, un changement minime de dimensions ou une évolution de son titre, faussant alors sa recherche dans ces bases. Seule la photographie permettra de s’assurer qu’il s’agit bien de la même œuvre. Pour les maisons de ventes, il s’agit souvent de contenter les désirs ou impératifs de ses clients. Un objet ravalé en vente incitera le vendeur à solliciter l’effacement de toute reproduction permettant une identification rapide. Un objet acquis en vente et revendu par un professionnel conduira ce dernier à solliciter le retrait de toute occurrence afin d’éviter toute réclamation de la part du nouvel acquéreur surpris par la plus-value réalisée.
Le temps où le commissaire-priseur Maurice Rheims se faisait morigéner par ses pairs de la compagnie parisienne pour avoir osé proposer une reproduction en couleurs d’une toile de Rembrandt au sein d’un catalogue – la tradition voulant qu’elle fût en noir et blanc – semble particulièrement lointain. Le recours systématique à la photographie pour les ventes cataloguées qui s’est installé à partir des années 1960 a permis aux bases de données de développer leurs services dans le milieu des années 1990. Trente ans plus tard, une nouvelle tendance pourrait éclore : à la multiplication des reproductions pour un objet exceptionnel au sein des catalogues, s’opposerait la raréfaction de celles-ci pour certains objets dans les bases de données.
Quant à la reconnaissance du photographe comme un acteur à part entière et potentiellement auteur, celle-ci demeure bien rare dans les catalogues. Rares sont les initiatives comme celle de la maison Binoche et Giquello, ayant offert à l’auteur des clichés des œuvres de la collection H. Law (2011) une place de choix afin d’expliquer ses parti pris dans une section du catalogue intitulée « Les mots du photographe ».
Droit d’auteur. Après des mois de discussions, la médiation mise en place entre certaines maisons de ventes, deux sociétés de gestion collective de droits d’auteur (l’ADAGP et la SAIF) et deux agences photo (Magnum Photos et Gamma-Rapho) a abouti à une solution permettant aux auteurs de photographies, ou à leurs ayants droit, de percevoir une rémunération attachée à la reproduction de leurs œuvres dans les catalogues. Un « guichet unique » est ainsi créé auprès de l’ADAGP, chargée de délivrer les autorisations de reproduction et de percevoir les droits afférents, une fois que les opérateurs ont signé un contrat individuel avec la société de gestion collective. Depuis janvier 2018, plusieurs opérateurs de ventes volontaires auraient conclu un tel contrat, emportant une rémunération forfaitaire et non proportionnelle à l’exploitation réalisée de l’œuvre. À la différence des ventes judiciaires, les ventes volontaires aux enchères publiques ne bénéficient pas de l’exception visée à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle dispensant les commissaires-priseurs judiciaires de s’acquitter de tout droit de reproduction pour les besoins de leur catalogue.
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Le droit des photographes dans les catalogues et sites d’enchères
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Catalogues de vente et sites de relevés d’enchères, le droit des photographes