Vidéo

Le Borgne, Pretty Eyes et José José

Par Françoise Chaloin · Le Journal des Arts

Le 15 février 2012 - 704 mots

La galerie Michel Rein présente les dernières imagesrapportées de Tijuana par le vidéaste et plasticien Jean-Charles Hue.

PARIS - Tenté de manière récurrente par la fiction, Jean-Charles Hue, auquel la galerie Michel Rein, à Paris, consacre une troisième exposition, a « toujours besoin du réel, des gens qu’[il] rencontre, d’une histoire affective forte ». De son plus récent séjour à Tijuana, ville mexicaine située à la frontière avec la Californie, le vidéaste a rapporté l’histoire d’un couple, El Tuerto (le Borgne) et Pretty Eyes, figure diaphane d’une jeune femme, manifestement enceinte mais qui refuserait « d’accoucher de son mari » dont la « sale réputation […] porte le mauvais œil ». Empreint de mystère et d’érotisme, le récit de Tijuana Jarretelle le Diable (2011, 9 min 39 s) est égrené en voix off le long d’une succession de plans tantôt flous ou nets – des « visions » –, de fleurs et d’objets à caractère symbolique ou religieux. Le chanteur populaire José José y apparaît au centre d’une ovation publique, en 1970, pour son interprétation d’El Triste dont la qualité de la retransmission se fond ici à l’ensemble. Le sentiment romantique qui s’en dégage ne laisse pourtant pas oublier la violence latente et contenue du film.

Cette violence, comme cette sensualité et ferveur quasi mystique, Jean-Charles Hue en explore toutes les ramifications depuis qu’il a commencé à filmer, il y a une petite dizaine d’années et après s’être fait accepter de ses membres, la communauté Yeniche installée dans le nord de la France. L’immersion dans son sujet et sa capacité à le transfigurer, à lui donner une expression fantastique et lyrique sans le dénaturer, lui permet de réaliser des films à la frontière du documentaire et de la fiction, qui séduisent tant le public de l’art que celui du cinéma. S’il expose, dès la fin de ses études à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, en 2000, dans le circuit des galeries et lieux d’art contemporain, il est aussi régulièrement invité à montrer ses réalisations dans nombre de festivals internationaux, de Bergame ou Alba en Italie à Rotterdam, Utrecht (Impakt) ou encore Montréal (RIDM). Ayant obtenu le prix de la meilleure vidéo lors de l’édition 2006 de la foire Loop à Barcelone, il a bénéficié d’un certain « buzz » avant d’être révélé en 2010 avec La BM du Seigneur au Festival international du documentaire de Marseille. Ce deuxième long-métrage (1 h 24 min) [1] sortira en salle l’année suivante et connaîtra un vif succès public et critique. Le Monde, Libération, Les Cahiers du cinéma sont unanimes et encensent le film, le classant, pour les deux quotidiens nationaux, parmi les meilleurs films 2011, et allant jusqu’à voir en son réalisateur un croisement de Martin Scorsese et de Jean Rouch.

« Acquérir un marché »
Cette reconnaissance du milieu cinématographique se répercute-t-elle sur la vente des œuvres vidéographiques de l’artiste, dont le prix est situé entre 10 000 et 12 000 euros ? Relativement peu, déplore Michel Rein, le marché du médium étant étroit. Jean-Charles Hue est pourtant en train d’« acquérir un marché ». Il reste soutenu par quelques aficionados, parmi lesquels Antoine de Galbert, qui, à lui seul, a acheté huit vidéos. Il est aussi présent dans la collection du Fonds régional d’art contemporain Poitou-Charentes et du Musée d’art contemporain de Barcelone. Et, surtout, il a compté parmi les six finalistes du prix SAM 2011, Tijuana Jarretelle le Diable constituant le prologue à son prochain projet filmique mexicain, défendu par Sandra Mulliez, fondatrice du SAM Art Projects. L’année 2012 verra par ailleurs la parution d’une monographie conçue par l’Espace croisé, le centre d’art contemporain de Roubaix qui lui a consacré une exposition personnelle l’an dernier, ainsi que d’un livre d’artiste, aux éditions Aux forges de Vulcain. Quant à ses photographies, qui ne sont pas directement issues de ses films bien qu’elles rendent compte d’un même univers, elles font depuis peu l’objet d’une certaine attention. La galerie en présente deux à 4 500 euros pièce.

JEAN-CHARLES HUE, TIJUANA JARRETELLE LE DIABLE

Prix des vidéos : de 10 000 à 12 000 €

Jusqu’au 25 février, galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 72 68 13, www.michelrein.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Note

[1] le premier, Carne Viva (2009), non distribué, a été conçu pour être exposé sous la forme de vidéos indépendantes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°363 du 17 février 2012, avec le titre suivant : Le Borgne, Pretty Eyes et José José

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque