La cour d’appel de Paris, dans une succession d’arrêts rendus cet automne, a réformé ou infirmé des décisions prises en première instance concernant des affaires d’authenticité.
Paris - La complexité de la jurisprudence française en matière d’authenticité pose de multiples questions aux juges. La cour d’appel de Paris l’a montré ces derniers mois en réformant ou infirmant plusieurs décisions du TGI de Paris. Suite des mésaventures des juges parisiens, dont nous avons déjà relaté plusieurs affaires dans les colonnes de notre édition précédente (JdA n° 183, 19 décembre 2003), sous cette même rubrique.
7 octobre 2003 : La Hyre de la discorde
Cette affaire, hormis son contexte (le litige opposait deux frères), présentait quelques similarités avec celles qui ont illustré la jurisprudence Poussin, en particulier la déconvenue judiciaire des frères Pardo (lire le JdA n° 180, 7 nov. 2003). Pourtant, dans l’affaire Pardo, les juges du tribunal de grande instance (TGI) avaient initialement rejeté la demande d’annulation de la vendeuse du Poussin avant d’être désavoués par la cour d’appel. Relation de cause à effet ? Sans doute pas, mais, dans ce dernier litige, les juges du TGI ont été approuvés par la cour d’appel, du moins pour l’essentiel.
Un aristocrate avait vendu en 1997 à son frère, antiquaire, un lot de 16 tableaux provenant du château familial dont il était propriétaire. Montant de la transaction : 250 000 francs. Dans le lot, un tableau désigné comme une huile sur toile de La Hyre (valorisé par différence à 77 000 francs).
Deux mois plus tard, les deux frères signaient une « transaction » par laquelle l’acheteur s’engageait à verser « un complément de prix sur la facture du 8 mai 1997 d’un montant total et forfaitaire de 950 000 francs ». Le document mentionnait que le vendeur avait « contesté le prix car parmi le lot vendu exist[ait] un tableau de La Hyre de 2,70 x 1,60 m, dans un cadre doré dont la valeur serait à elle seule comprise entre 1 million et 1,5 million de francs ».
Peu de temps après cette transaction, en janvier 1998, un certificat de libre circulation en vue d’exportation du tableau était demandé et refusé par la direction des Musées de France (DMF). Motif de la DMF :« Il s’agit d’un chef-d’œuvre absolu d’un des plus grands peintres français et, par ailleurs, un des premiers tableaux de l’école française à n’avoir subi aucune influence étrangère directe. C’est donc, par son importance historique et sa facture, une œuvre d’une importance majeure pour le patrimoine national et sa sortie du territoire serait incontestablement une perte pour ce patrimoine. »
En janvier 2001, au terme du délai de trois ans pendant lequel le tableau était interdit d’exportation, l’État (qui n’avait légalement d’autre choix que d’accorder le certificat ou de classer le tableau avec le risque d’être condamné à une lourde indemnité) fait une offre d’achat à l’antiquaire de 16 millions de francs. Cette offre est acceptée en avril 2001.
La procédure tranchée par la cour d’appel s’engage alors. L’État, tenu de verser les fonds dans un délai de six mois, mais avisé d’un litige sur la propriété du tableau, obtient en référé en octobre 2001 le séquestre du tableau et de son prix. Le vendeur assigne son frère en vue d’obtenir l’annulation pour dol de la vente de mai 1997 et de l’accord (transaction ?) de juillet 1997, et, consécutivement, de la vente du tableau à l’État via la Réunion des musées nationaux. Le TGI de Paris rejetait les demandes du vendeur le 14 mars 2003 (RG 2001/19856), considérait que la vente de l’antiquaire à l’État était valide et ordonnait en conséquence la levée des mesures de séquestre ordonnées en 2001.
La cour de Paris était saisie de l’appel du vendeur débouté. Elle avait à trancher tout d’abord sur la portée de la convention intervenue entre les deux frères en juillet 1997. La question était de savoir s’il s’agissait ou non d’une transaction. Le droit français prévoit clairement la possibilité de résoudre des litiges par ce biais. L’article 2044 du code civil stipule ainsi que « la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou à naître, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». Le code civil précise (art. 2052) que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion ». Toutefois, une transaction peut-être mise en cause « lorsqu’il y a erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation. Elle peut (aussi) l’être dans tous les cas où il y a dol ou violence » (art. 2053 c. civ.).
Les juristes ont coutume de mentionner clairement la transaction en se référant à l’article 2044 du code civil. Une précision qui n’avait pas été apportée dans cette affaire.
La cour a réglé la question en quelques lignes en considérant qu’il y avait bien eu « concession » (caractéristique d’une transaction), puisque l’acheteur avait proposé un complément de prix sur la vente initiale pour éviter un séquestre du tableau de La Hyre à l’initiative du vendeur. Restait à régler la question du dol. Si le vendeur avait choisi cette approche juridique (plus difficile que celle de l’erreur puisqu’en matière de dol il faut démontrer un comportement intentionnel), c’est parce que la voie de l’erreur, utilisée le plus fréquemment en matière d’authenticité, lui était interdite. Le vendeur ne pouvait pas contester la vente puisque la transaction portait sur un tableau de La Hyre. La contestation de fond provenait de la valeur réelle du tableau, ce qui est la plupart du temps la vraie motivation des requêtes en annulation des vendeurs. Mais comme, suivant une jurisprudence bien établie, l’erreur sur la valeur ne constitue pas en soi une cause de nullité, elle peut généralement prospérer seulement par le détour de l’erreur sur l’authenticité ou, selon la jurisprudence Poussin, de la conviction que les parties avaient sur l’authenticité lors de la vente.
Pour fonder le dol, le vendeur mettait en avant l’abus du lien de confiance attaché à la fraternité ainsi que le professionnalisme de l’acheteur. Figurent parmi les circonstances invoquées par le vendeur pour démontrer les manœuvres dolosives, le fait que son frère, lors de la vente initiale, lui ait indiqué « qu’il lui rendait un service en le débarrassant de ses tableaux ». Également, la présence d’un expert en tableaux renommé dont l’acheteur se serait gardé de présenter comme tel et qui ne pouvait pas ignorer lors de la transaction initiale que le tableau valait beaucoup plus de 77 000 francs… Par ailleurs, le dol se serait prolongé au moment de la transaction puisque l’acheteur, qui avait disposé du tableau pendant deux mois et avait pu le faire longuement examiner et évaluer, lui aurait indiqué pour le conduire à la transaction une valeur de 1 million à 1,5 million de francs au maximum. Pour confirmer le jugement du TGI, la cour d’appel s’est pour l’essentiel bornée à relever « qu’aucune information sur la valeur du tableau litigieux ne pesait sur l’acheteur, même professionnel du marché de l’art, fût-il frère du vendeur » et, en complément, que la valeur retenue lors de la transaction (1 à 1,5 million de francs) ne « révélait pas la déloyauté […] ou une volonté de tromper […], la valeur de l’œuvre litigieuse retenue lors de la transaction ne présentant aucune anomalie au regard de l’état du marché au moment de sa conclusion […], au surplus proche de la valeur d’assurance retenue par l’expert lorsqu’il avait reçu le tableau aux fins d’étude et d’expertise ».
La cour d’appel bouclait son raisonnement en critiquant l’attitude du vendeur, lequel, alors qu’il avait été averti par un commissaire-priseur à la fois sur la possible valeur du tableau et la notoriété de l’expert accompagnant son frère – dont « la présence signifiait qu’il devait suspecter l’existence d’un tableau de valeur » – n’avait pas demandé à faire examiner le tableau par un expert de son choix et avait consenti à la transaction. CQFD pour confirmer la décision des juges de Paris. (CA Paris n° RG 2003/07266)
28 octobre 2003 : bouteille à l’encre pour un Léger
Pour infirmer une décision d’annulation en chaîne prise par le TGI de Paris le 26 février 1998 sur les ventes successives d’une gouache de Fernand Léger, la cour d’appel a dû remonter dans le temps.
La décision du TGI annulait ainsi, par ordre anté-chronologique : une vente d’avril 1986 (d’un marchand français à des amateurs américains) ; une vente de mars 1986 (d’un amateur au susdit marchand) ; une vente aux enchères du 2 avril 1981 assistée d’un expert parisien de renom au cours de laquelle l’œuvre incriminée avait été vendue à un collectionneur grec.
Le TGI, pour annuler les différentes ventes, avait conclu au défaut d’authenticité de la pièce. Dès lors, tous ceux qui, depuis l’origine, la croyaient « bonne » avaient commis une erreur et les transactions s’annulaient en cascade, avec les difficultés de règlement qu’il est possible d’imaginer. L’affaire mettait en présence 9 personnes physiques, dont 3 résidant à l’étranger, 2 SCP de commissaires-priseurs et une compagnie d’assurances ; plusieurs des protagonistes étaient décédés depuis la vente d’origine.
Est-ce pour s’éviter un casse-tête, la cour d’appel, de façon laconique, a critiqué la conclusion du TGI sur le défaut d’authenticité, décision prise « sur le fondement d’expertises contradictoires et douteuses ». Par contre, elle a retenu les doubles conclusions d’un technicien, à savoir que « les analyses du papier support de la gouache et des pigments ne permettent pas d’exclure que l’œuvre soit de Fernand Léger, faute de pouvoir avancer une date certaine d’exécution en l’absence d’éléments anachroniques ». La cour a recoupé cet examen avec la conclusion d’un expert judiciaire déclarant que « l’œuvre est authentique et de la main de Fernand Léger, bien que le tableau ne figure pas dans l’inventaire de succession de l’oncle des propriétaires […], la succession indiquée comme origine correspond[ant] à une provenance normale pour une œuvre de qualité moyenne ».
Bref, la pièce ne pouvant être attaquée sur son authenticité, la cour d’appel « annule » les annulations du TGI et tout rentre dans l’ordre.
L’œuvre, bien dénommée, a pour titre L’Encrier.
(1) (1re ch. 2e sect. n° RG : 1996/05523)
(CA Paris n° RG 1998/15503)
4 novembre 2003 : la cour réhabilite la « Poule » de César
Nouveau désaveu par la cour d’appel du TGI de Paris, qui avait statué le 22 mai 2002 sur un litige concernant un plâtre de César.
Le contentieux opposait un commissaire-priseur parisien, grand amateur d’art contemporain, à un ancien marchand du sculpteur César, lequel lui avait confié un plâtre (La Poule Rosine) en vue de ventes publiques en décembre 2000. Dûment cataloguée, sous un descriptif d’expert qui ne semblait pas faire l’objet d’un désaccord entre le marchand et le commissaire-priseur, la pièce n’a cependant pas été présentée lors de la vacation.
Le commissaire-priseur motivait son abstention en écrivant à l’avocat du marchand : « Cette œuvre est un moulage en plâtre, agrandi, d’une œuvre de César, faite vraisemblablement par un fondeur pour servir de base de travail à l’élaboration d’une autre œuvre. Elle n’est pas signée de l’artiste, pas numérotée, et n’aurait jamais dû se trouver dans le commerce. En aucun cas, elle ne saurait être considérée comme une œuvre authentique de César. Toutes ces informations nous ont été communiquées par S. B., veuve de l’artiste, et par D. D., qui établit le catalogue raisonné de César. » Conclusion du commissaire-priseur : contrairement à la mention initialement portée au catalogue, le plâtre ne peut être considéré comme une pièce unique.
Le marchand, sans poursuivre l’annulation d’une vente qui n’avait pas eu lieu, avait attaqué le commissaire-priseur en réparation du préjudice, résultant en particulier du trouble sur son authenticité que jetait le retrait de l’œuvre de la vente.
Les juges de Paris lui avaient donné tort, partant du principe que « le commissaire-priseur est tenu de ne donner, dans les catalogues […], que des informations exactes sur les œuvres mises en vente, la rédaction défectueuse engageant sa responsabilité » pour en déduire que la « désignation du catalogue était inexacte et risquait d’induire l’adjudicataire en erreur, [et donc que] le commissaire-priseur n’avait pas commis de faute susceptible d’engager sa responsabilité professionnelle ».
La cour d’appel a pris le contre-pied de cette sentence pusillanime. Elle a tout d’abord critiqué certains des attendus ayant conduit le tribunal à s’aligner sur la défense du commissaire-priseur. Ainsi, relevant que le tribunal avait retenu une définition de la pièce unique résultant du « code de déontologie » des fonderies d’art, la cour a souligné que les dispositions de ce code « n’ont pas vocation à s’appliquer à une œuvre en plâtre, fût-elle réalisée pour les besoins du tirage en bronze d’une œuvre préexistante ».
Par ailleurs, d’une attestation d’un ancien assistant de César ainsi que de la fille de l’artiste et de sa veuve (dont la cour rappelle le nom comme pour le distinguer de celui de la dernière compagne de César), la cour a déduit qu’un plâtre unique de la pièce (La Poule Rosine), agrandie en vue de reproduction en bronze, avait bien été réalisé sous la direction de César. La cour constatait que ces différents éléments, confortés par le contrat de droit de reproduction passé entre César et le marchand, permettaient d’établir « que la sculpture en plâtre [était] une pièce unique […] et que le fait que ce plâtre n’était ni numéroté ni signé n’était pas de nature à le priver d’authenticité […] et qu’il s’ensui[vait] que la description de l’objet telle qu’elle figurait au catalogue n’était pas contraire à la réalité ».
La cour en déduisait donc une faute du commissaire-priseur dans l’exécution de son mandat, l’accrochant au passage pour s’être prévalu d’avis dont il n’apportait pas la preuve et lui rappelant à toutes fins utiles que la dernière compagne de César n’était pas sa veuve, « ce qu’il ne pouvait ignorer en sa qualité de professionnel du marché de l’art ».
Si la cour relève que le retrait « a nécessairement semé le doute sur la qualité de celle-ci dans l’esprit des amateurs à qui les raisons d’un tel retrait n’ont pu être expliquées », elle n’en tire que de modestes conclusions financières : 3 000 euros de dommages-intérêts, et une publication judiciaire pour un maximum de 1 500 euros.
Pas de quoi envoyer La Belle Rosine se faire fondre ailleurs.
(1) (1re ch. 1re sect. n° RG 2001/07975)
(CA 1re ch. sect. A. Paris 4 novembre 2003, n° RG 2002/10543)
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’authenticité en cour d’appel : réformations en série
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : L’authenticité en cour d’appel : réformations en série