Totalement négligé durant la seconde moitié du XXe siècle, l’art moderne vietnamien est sorti de l’ombre il y a vingt ans et, depuis, ne cesse de prendre de l’ampleur.
Le Musée Cernuschi expose actuellement la première grande rétrospective en France de trois pionniers de l’art moderne vietnamien, Lê Phô (1907-2001), Mai-Thu (1906-1980) et Vu Cao Dam (1908-2000), à l’occasion du centenaire de l’École des beaux-arts de Hanoï, ouverte en 1924. Se désolant de l’absence d’enseignement artistique, le peintre Nguyen Van Tho (dit Nam Son, 1890-1973) avait convaincu son mentor, le peintre français Victor Tardieu (1870-1937), lauréat du prix de l’Indochine de 1920, de fonder un établissement ayant pour vocation de former les artistes vietnamiens aux techniques occidentales. Véritable vivier de talents, cette école a formé plusieurs générations d’étudiants essentiellement vietnamiens, ouvrant la voie à un style d’art moderne tout à fait singulier, mêlant aux traditions asiatiques des techniques et des matières propres à l’art occidental.Ces trois artistes, ainsi que la peintre vietnamienne Le Thi Luu (1911-1988), ont choisi de vivre en France dès la fin des années 1930. Ils ont ainsi bénéficié d’un climat favorable à la conservation de leur œuvre, tant historique que météorologique. Ce qui ne fut pas le cas de leurs camarades restés au Vietnam, qui sont aujourd’hui moins connus. Tous ces artistes avaient en commun des œuvres empreintes d’une grande tendresse, aux sujets souvent idéalisés. Ils recherchaient l’excellence et la perfection du geste avant tout. Depuis près de trente ans, ce marché connaît un engouement croissant. L’analyse économique des résultats mondiaux met en évidence, entre 2000 et 2022, pour Vu Cao Dam, Lê Phô et Mai-Thu, une croissance annuelle moyenne du montant total vendu, respectivement, de 21 %, 21 % et 26 % (source : Artprice). Entre 2000 et 2014, la croissance a été limitée, tandis qu’à partir de 2014, elle s’est accélérée. Ainsi, le total réalisé en ventes pour ces trois artistes est passé de 4,2 millions d’euros en 2012 à plus de 38,3 millions en 2022. Plusieurs maisons de ventes parisiennes ont participé à l’essor de ce marché. Parmi elles, Aguttes a été précurseur, dès 2014. Millon s’est implanté à Hanoï en janvier dernier, tandis que Lynda Trouvé organise plusieurs fois par an des ventes consacrées à l’Indochine.
1. Peinture sur soie - Le Thi Luu fait partie des quatre artistes à avoir émigré en France dans les années 1930 pour faire carrière à Paris. Admirative du travail d’Auguste Renoir et de Pierre Bonnard, elle opte pour une palette chromatique très lumineuse et des compositions rehaussées grâce à de petites touches de couleur vive. Les touches de son pinceau, apposées en petites virgules, rappellent la peinture impressionniste. Féministe engagée, elle intègre durant ses années parisiennes l’Union des femmes peintres et sculpteurs.
Aguttes, Neuilly-sur-Seine, le 14/03/2022
2. Peinture sur soie - Mai-Thu peint exclusivement sur de la soie, mettant en scène un Vietnam idéalisé. L’artiste évoque ici son attachement à la beauté du rite : la préparation du thé, vécu comme un temps de partage familial. L’influence occidentale se retrouve dans le tracé, notamment dans les plis des tenues traditionnelles et la séparation des plans, comme dans les portraits de la Renaissance. Mai-Thu détient le record des ventes avec Le Portrait de Mademoiselle Phuong, (1930), adjugé 2,6 millions d’euros chez Sotheby’s Hongkong, en 2021 (ancienne collection Dothi Dumonteil).
Aguttes, Neuilly-sur-Seine, le 30/09/2021.
3. Peinture sur soie - Vu Cao Dam était surtout connu pour ses sculptures. Il a d’ailleurs honoré de nombreuses commandes, surtout des bustes, à l’instar de celui de l’empereur Bao Daï, lors de son arrivée à Paris en décembre 1931. C’est une bourse d’études qui lui a permis de venir en France – il n'est jamais revenu au Vietnam. Les femmes et les jeunes filles de son pays natal et la maternité étaient ses sujets de prédilection. Il a peint très peu de nus.
Christie’s Hong Kong, le 03/12/2020
4. Peinture sur soie - Sorti de l’École des beaux-arts d’Indochine, Lê Phô arrive en France en 1937, rejoignant Vu Cao Dam. Entre 1935 et 1945, il a exploré le thème de la maternité, incluant la représentation de la Vierge Marie et de l’Enfant Jésus. Ici, il mêle un thème classique de l’art européen, tout en représentant les personnages avec des caractéristiques typiquement vietnamiennes, à l’instar des vêtements, en soie traditionnelle, des végétaux – les bambous –, mais aussi la pêche que la Vierge s’apprête à donner à l’Enfant, symbole de longévité dans la tradition asiatique.
Millon, Paris, le 12/10/2024.
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L’art moderne vietnamien un marché en pleine expansion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : L’art moderne vietnamien un marché en pleine expansion