Dans les galeries, les maisons de vente, les musées, l’art digital fait une entrée en force. Les prix sur le marché commencent à l’acter.
Dans ses ventes « Prints & Multiples », du 23 au 25 octobre à New York, Christie’s a inclus pour la première fois une œuvre réalisée par une intelligence artificielle, Edmond de Belamy, estimée 7 000 à 10 000 dollars et créée par trois jeunes Français réunis dans la start-up Obvious. Ces derniers ont « entraîné une machine avec 10 000 œuvres classiques des XVIe et XVIIIe siècles pour qu’elle comprenne les caractéristiques de base d’un tel exercice », une technique baptisée Generative Adversarial Networks mise au point par un chercheur américain, Ian Goodfellow, en 2014. Le collectionneur de street art Nicolas Laugero Lasserre a déjà acquis une œuvre auprès de cette même start-up pour 10 000 euros, considérant qu’il s’agit d’une tendance à prendre en considération.
Pour Christie’s, c’est l’opportunité d’attirer une clientèle plus jeune et de faire le buzz. « La maison nous a contactés et nous avons décidé de prendre ce risque en raison de l’exposition que cela nous apporterait et des possibilités de démocratiser cette technologie », confie Gauthier Vernier, d’Obvious. Mais ce n’est pas un cas isolé. En 2016 : microsoft créait par l’intelligence artificielle Deep Dream le tableau The Next Rembrandt, synthèse parfaite des portraits du maître flamand, ensuite imprimé en 3D pour reproduire l’irrégularité des coups de pinceau. Cette année-là, lors d’une vente caritative à San Francisco, certaines des œuvres réalisées par Google avec cette technologie trouvaient preneur pour 2 200 à 8 000 dollars.
Selon Artprice, plus de 61 000 œuvres réalisées à l’aide de machines ont déjà été mises en vente : algorithmes écrits par un artiste ou un collectif, commandes passées à des développeurs assorties de cahiers des charges précis, etc. La clientèle asiatique en serait particulièrement friande. Une chose est sûre, les événements autour de l’art digital se multiplient ces derniers mois : « Artistes & Robots » au Grand Palais, « Coder le monde » au Centre Pompidou, « Capitaine futur » à la Gaîté lyrique, « Team Lab » à La Villette… Et ils séduisent le public, notamment en raison des expériences immersives offertes. L’Atelier des Lumières à Paris, qui réserve un espace à la création numérique avec le collectif turc Ouchhh, a pulvérisé ses prévisions de fréquentation et son fondateur Bruno Monnier l’explique par la puissance émotionnelle dégagée. « Artistes & Robots » a attiré 155 000 visiteurs en trois mois, notamment beaucoup de jeunes séduits par sa dimension ludique.
« L’art robotique, qui englobe le computer art, l’art génératif et l’art algorithmique, représente le marché de l’art de demain. De plus en plus de musées et de collections privées acquièrent ces tableaux 2.0 ; les artistes sont dans de bonnes galeries et vivent de ces œuvres qui prennent de la valeur », souligne Jérôme Neutres, commissaire de l’exposition « Artistes & Robots ». Et de citer l’exemple du jeune Américain Ian Cheng montré au Moma PS1 de New York et à la Serpentine de Londres, représenté par la Pilar Corrias Gallery. « Les œuvres autogénératives commencent à bénéficier d’un vrai marché. La galerie new-yorkaise Bitforms vend des pièces de Rafael Lozano-Hemmer à 250 000 euros, de Golan Levine et du pionnier du computer art Manfred Mohr de 50 000 à 150 000 euros. La galerie berlinoise Dam travaille avec Vera Molnar, pionnière de l’art numérique et algorithmique et présente le défunt Harold Cohen, créateur du programme Aaron. La galerie londonienne Mayor collabore avec Miguel Chevalier, dont les fresques monumentales atteignent jusqu’à 350 000 à 450 000 euros », poursuit Jérôme Neutres.
Quant à Elias Crespin, dont les mobiles valent de 120 000 à 500 000 euros (pour le Grand Hexanet, vu au Grand Palais), il a les honneurs de la Galerie Denise René à Paris. « Le XXe siècle avait repoussé les limites de la peinture aussi loin que possible. Il fallait trouver de nouveaux territoires », explique Miguel Chevalier, un artiste demandé dans le monde entier, à qui Art Basel a ouvert ses portes. Si les prémices de l’art numérique remontent aux années 1960 avec l’art vidéo et cinétique, son déploiement commence dans les années 1980 avec les ordinateurs personnels, les capteurs de mouvement, l’apport de l’immersion et de l’interactivité, s’accélère dans les années 1990 avec les musiques électroniques, le mapping, les bases de données constituées grâce à Internet. Les limites sont sans cesse repoussées depuis avec la puissance de calcul des ordinateurs, les flux de data, les réseaux sociaux, les smartphones, etc. Les œuvres deviennent participatives, à choix multiples, en devenir permanent… Et, bonne nouvelle, « les collectionneurs de ces formes d’art sont plus jeunes, car celles-ci sont en phase avec la révolution numérique que nous vivons aujourd’hui », note Jérôme Neutres.
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L’art high-tech séduit de plus en plus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : L’art high-tech séduit de plus en plus