Les collectionneurs d’art chinois sont en très grande majorité asiatiques. Cependant, c’est surtout en France qu’ils viennent acheter des objets rares et inédits.
À Évian s’ouvre une exposition consacrée au collectionneur qui céda au Louvre La Mort de Sardanapale de Delacroix. Parmi les chefs-d’œuvre que posséda Joseph Vitta à la charnière du XIXe et du XXe siècle, une peinture sur soie, rouleau de l’artiste Xu Yang illustrant le voyage de l’empereur Qianlong dans le sud de la Chine – symbole d’une époque où les amateurs d’art français et anglais intégraient dans leurs collections des pièces d’art chinois. Aujourd’hui, pourtant, ce sont des Chinois qui s’arrachent ces œuvres. Mais si le marché se joue désormais principalement à Hongkong, les collectionneurs continuent de se déplacer jusqu’en France pour dénicher des objets inédits, vestiges de cette époque où l’art chinois entrait dans les collections françaises.
Les premiers marchands d’art chinois à Paris apparaissent vers la fin du XIXe, après le sac du Palais d’été. Napoléon III et sa femme Eugénie aménagent un musée chinois à Fontainebleau en 1863. Les amateurs d’art européens, comme Moïse de Camondo, se piquent de curiosité pour les arts asiatiques. Mais, peu à peu, avec l’installation symbolique d’un des plus grands marchands chinois, C.T. Loo, à New York en 1914, le marché glisse vers les États-Unis. S’il reste implanté à Londres, Paris est peu à peu éclipsé. Enfin, à la fin des années 1970, après la « révolution culturelle », les Chinois commencent à se réapproprier leur histoire. « Au fil des ans, les collectionneurs de Hongkong et Taïwan sont alors devenus de plus en plus nombreux. Mais, depuis 3 ans, ils sont en majorité originaires de Chine continentale : aujourd’hui, ils représentent 90 % des acheteurs », observe Camille de Foresta, expert chez Sotheby’s.
Pour eux, la France reste un réservoir d’œuvres rares et importantes. À Paris, Christie’s organise une première vente importante d’art chinois en 2002. En 2007, Sotheby’s ouvre un département d’arts asiatiques. « Ils cherchent des objets qui sont restés dans les familles depuis parfois un siècle, pour ressortir aujourd’hui », indique Camille de Foresta. Ce qu’ils prisent par-dessus tout ? La peinture, ce qui touche le monde bouddhiste ou l’univers des lettrés et les objets en jade ou porcelaine.
Ventes des grandes maisons de ventes aux enchères en juin et décembre chaque année.
Galerie Jacques Barrère/, 36, rue Mazarine, Paris-6e.
Le Graal bouddhiste
Si les statues d’Amitayus de l’époque de l’empereur Kangxi, dont le long règne s’étendit de 1662 à 1722, sont très prisées de la clientèle chinoise, celle-ci constitue une pièce exceptionnelle. Par sa délicatesse et ses dorures, cette représentation du Bouddha de la vie éternelle apparaît de qualité impériale, bien qu’elle ne porte pas le cachet de l’empereur. Le 8 octobre dernier, à Hongkong, une statue de Bouddha Shakyamuni, en bronze doré, datée de la période de Yongle et portant la marque de son règne (1402-1424), a été facturée l’équivalent de 22,5 millions d’euros – illustrant l’engouement des collectionneurs chinois pour l’univers bouddhiste.
Sculpture d’Amitayus en bronze doré, Chine, dynastie Qing, époque Kangxi (1662-1722).
Vendue 1 016 750 euros en 2010, Sotheby’s, Paris. L’enfance de l’art
Ce plat en porcelaine remonte à l’époque Yuan (1279-1368). « Cette pièce muséale, en excellent état, révèle une maîtrise parfaite du bleu et blanc, pourtant alors à ses débuts », observe Camille de Foresta. De plus, la dynastie Yuan offre la possibilité au céramiste d’imprimer une touche personnelle à sa peinture, ce qui disparaît avec l’arrivée des Ming, en 1368, pour qui l’uniformité devient une vertu. Ce plat appartenait à une famille française depuis le XIXe siècle. Rapporté par un fantassin, il a été découvert chez sa descendante qui, ignorant sa valeur, y présentait ses fruits !
Plat en porcelaine à décor bleu blanc, Chine, dynastie Yuan (1279-1368).
Vendu 1 655 150 euros, en 2008, Sotheby’s, Paris.
Le voyage de l’empereur
La peinture constitue pour les Chinois le plus noble des arts. Celle-ci appartient à une série de 12 rouleaux – dont deux sont conservés au Musée Guimet, un au Metropolitan et six au Musée du Palais à Pékin – peints en commémoration du voyage d’inspection de l’empereur Kangxi dans le sud de la Chine, par l’artiste de cour Wang Hui, célèbre pour ses paysages. Deux fragments de rouleaux du Voyage dans le Sud de l’empereur Qianlong, réalisés par Xu Yang au XVIIIe siècle – comme le rouleau exceptionnel de Joseph Vitta exposé actuellement à Évian –, avaient déjà dépassé le million d’euros à Paris, en 2001 (Poulain, Le Fur et de Ricqlès). « Mais ces fragments étaient moins rares que ceux représentant le voyage de Kangxi », précise Philippe Delalande.
Importante peinture à l’encre et couleur sur soie , Voyage d’inspection dans le Sud de l’empereur Kangxi, Nanxun Tu, par Wang Hui, Chine, époque Kangxi (1691-1697) Dimensions : 68 cm x 247,5 cm. Adjugé 2,8 millions d’euros, Alain Bricadieu, Bordeaux.
De main de maître
Cet écran de jade impérial du XVIIIe siècle (dynastie Qing) servant à protéger du soleil pour écrire, porte, sur une face, un délicat décor de chauves-souris, sur l’autre, un poème de l’empereur Qianlong. Il conjugue ainsi plusieurs critères recherchés des collectionneurs chinois : ceux-ci s’intéressent souvent aux pièces impériales, en particulier des dynasties Ming et Qing, ont une sensibilité particulière au jade qu’ils tiennent pour magique et prisent les objets des lettrés, parce qu’ils portent à la concentration.
Grand et rare écran de table impérial en jade vert épinard, Chine, dynastie Qing, époque Qianlong (1735-1796).
Vendu 840 750 euros, en juin 2012, Sotheby’s, Paris.
Y a-t-il encore des collectionneurs français d’art asiatique ?
Oui, mais beaucoup moins qu’il y a trente ans. Au début de ma carrière, en 1979, la clientèle était surtout française et américaine. Aujourd’hui, ces collectionneurs ont vieilli, et ceux de Chine populaire sont majoritaires.
Asiatiques et Occidentaux recherchent-ils les mêmes objets ?
Non, ils ont des sensibilités sensiblement différentes : les Occidentaux aiment surtout les objets archéologiques et les sculptures, et des porcelaines plus épurées. Les prix des pièces relevant du « goût occidental » sont souvent plus raisonnables.
Quelle est la spécificité du marché de l’art chinois en France ?
C’est là – et en Angleterre – qu’émergent les objets qui se retrouveront sur les circuits de Hongkong. Les estimations doivent ne pas être trop élevées pour attirer la clientèle chinoise et permettre ensuite aux enchères de monter. Ainsi, en juin 2012, un album impérial du XVIIIe siècle – pièce très importante, mais abîmée – proposé aux enchères par la maison Joron Derem avec une estimation entre 150 000 et 200 000 euros a été adjugé pour 6,3 millions d’euros.
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L’art chinois en France
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : L’art chinois en France