'Pop Life est un chef-d’œuvre sous forme d’une vente aux enchères record.' Tel était le sous-titre de la calamiteuse exposition organisée par la Tate Modern, à Londres, à la fin de l’année dernière sous le nom Pop Life”¯.
On l’aura remarqué, le mot chef-d’œuvre y est tourné en dérision. Le marché aime effectivement user et abuser de ce terme, ou de sa variante « icône ». Or, comme le souligne l’écrivain Charles Dantzig, « il existe des chefs-d’œuvre médiocres ». C’est le cas du bébé rose de Van Gogh et du Gauguin assez plat présentés comme des raretés, voilà trois ans pour le premier et cette année pour le second, à la foire de Maastricht (Pays-Bas) par la galerie londonienne Dickinson. Aucun des deux tableaux n’occupe une place fondamentale dans le corpus de ces artistes. Pourtant la communication de la foire s’est particulièrement focalisée sur ces noms. De là à penser que tout ce qui est adoubé par le marché n’est pas chef-d’œuvre serait un raccourci trop rapide. « Il existe des chefs-d’œuvre commerciaux, des tableaux qui ont toutes les caractéristiques historiques du chef-d’œuvre muséal, auxquelles s’ajoute le consensus du marché, comme le Nu au plateau de sculpteur de Picasso », défend Thomas Seydoux, spécialiste chez Christie’s. La maison de ventes propose, le 23 juin à Londres, le Portrait d’Angel Fernandez de Soto, estimé 30 à 40 millions de livres sterling (35 à 47 millions d’euros). Ce tableau de la période bleue de Picasso n’est-il pas plus important que le Nu au plateau de sculpteur de 1932, adjugé pour le record de 80,5 millions d’euros en mai (lire le JdA no 325, 14 mai 2010, p. 27) ? Pourrait-il atteindre le même prix ? « Je ne pense pas, confie Thomas Seydoux. On croit que le prix d’un artiste est lié à la notion de chef-d’œuvre. Mais c’est aussi une question de désidérabilité, de volonté de possession. Ici, on n’a pas la même palette de couleur ni le même message. Le Nu est basé sur la sensualité, le désir, tandis que le Portrait d’Angel de Soto renvoie à l’amitié, la mort, l’échec. »
Dans le champ de l’art contemporain, cette terminologie est absente des commentaires, même mercantiles. « Le chef-d’œuvre n’a plus aucun sens depuis les avant-gardes du XXe siècle. Le mot revient par le petit bout de la lorgnette. On parle de jalon essentiel, d’œuvre historique », souligne Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz et commissaire d’une exposition réjouissante intitulée « Chefs-d’œuvre ? » (jusqu’au 29 août). L’an dernier, à la FIAC, le galeriste nancéen Hervé Bize questionnait aussi le chef-d’œuvre avec un accrochage facétieux titré « Masterpiece ». Celui-ci avait mêlé des vrais tableaux et des « faux », dans l’esprit de l’accrochage « Seconde main » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (jusqu’au 24 octobre). On y voyait notamment un Fontana par Jacques Charlier ou encore le Douanier Rousseau revisité par Ernest T. Dans ce cas, le terme de chef-d’œuvre est forcément caduc. « Pour les artistes qui ont mis en place une procédure systématique, on peut penser que toutes les œuvres possèdent le même impact au sein d’une démarche, indique le galeriste. Je prends la démarche d’un artiste dans sa globalité, plutôt que d’isoler une période en gradation. » Adieu, donc, au chef-d’œuvre.
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La fin du « chef-d’œuvre »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : La fin du « chef-d’œuvre »