Droit - Ventes aux enchères

La faute du commissaire-priseur limite la garantie de l’expert

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 997 mots

En cas d’annulation d’une vente, le commissaire-priseur est seul tenu au remboursement des frais et sa faute réduit la garantie due par son expert, même si ce dernier se révèle négligent.

Paris. La jurisprudence est particulièrement protectrice des intérêts des personnes qui s’aventurent sur le marché de l’art. Elle repose pour partie sur les dispositions de droit commun qui offrent la possibilité aux intéressés de demander l’annulation de la vente pour erreur – notamment en raison de l’inauthenticité –, même si la jurisprudence en la matière n’est pas toujours accueillante. Mais si elle est reconnue, la nullité emporte l’effacement rétroactif du contrat, un retour au statu quo ante [dans l’état où les choses se trouvaient auparavant]. La vente annulée est censée n’avoir jamais existé et toutes les parties doivent être remises dans l’état antérieur. Pour autant, des difficultés peuvent survenir afin d’obtenir le remboursement du prix d’adjudication et l’acquéreur peut être tenté de se retourner contre la maison de ventes. Un arrêt de la cour d’appel de Paris (en date du 2 juillet 2024) rappelle qu’une telle vision est vaine sauf si l’identité du vendeur est inconnue.

Doutes sur l’authenticité d’une aiguière

En l’espèce, une société a acquis, en 2014, lors d’une vente aux enchères une rare aiguière (huajiao) en porcelaine décorée en bleu de l’époque Yongzheng (1723-1735, [voir illustration]). Très rapidement, des doutes sur l’authenticité de ce bien sont apparus et un expert judiciaire a conclu à la présence d’un faux. Le tribunal judiciaire de Paris a alors prononcé l’annulation de la vente pour défaut d’authenticité en 2021. Autrement dit, le vendeur devait rembourser le prix d’adjudication à la société acquéreuse (200 000 euros avec intérêts au taux légal !), tandis que cette dernière devait restituer l’aiguière au premier. En parallèle de cette annulation, la maison de ventes a été condamnée à rembourser les frais de vente (environ 52 000 euros) à la société acquéreuse.

Estimant qu’elle ne pouvait récupérer le montant de l’adjudication auprès du vendeur, la société a fait appel pour que la maison de ventes et l’expert soient condamnés à lui payer le montant de l’adjudication en sus des frais de vente. L’idée n’était pas dénuée d’intérêt, afin d’être certain que quelqu’un « paye ». Il est vrai que l’article L. 321-17 du code de commerce précise que « les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et les officiers publics ou ministériels compétents pour procéder aux ventes judiciaires et volontaires ainsi que les experts qui procèdent à l’estimation des biens engagent leur responsabilité au cours ou à l’occasion des ventes de meubles aux enchères publiques », notamment lorsqu’ils affirment à l’égard de l’acquéreur l’authenticité d’une œuvre sans l’assortir de réserve sur le catalogue – ce qui explique que « les clauses qui visent à écarter ou à limiter leur responsabilité [soient] interdites et réputées non écrites ».

Sur ce point, la cour d’appel n’a pas remis en cause l’absence d’authenticité de l’aiguière et a rappelé que la maison de ventes et l’expert avaient tous les deux commis des fautes de nature à engager leur responsabilité. Cette vision s’inscrit dans celle dégagée par la Cour de cassation le 3 avril 2007, à propos d’une œuvre de Raoul Dufy pour laquelle le commissaire-priseur a été tenu responsable des mentions erronées publiées dans son catalogue même s’il a fait appel à des experts qui ont certifié l’authenticité de l’objet, et (surtout) même si, compte tenu des connaissances acquises à l’époque de la vente, il était concevable de considérer l’œuvre d’art litigieuse comme authentique.

Toutefois, la cour réaffirme de manière bienvenue le principe selon lequel « les restitutions consécutives à l’annulation d’une vente pour erreur sur la substance n’ayant lieu qu’entre les parties contractantes, le commissaire-priseur ne peut, dès lors, être condamné qu’à des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l’acquéreur par sa faute, hormis le cas où il n’a pas fourni en temps utile à ce dernier les renseignements nécessaires à l’identification certaine du vendeur ». Puisque l’identité du vendeur avait été transmise à l’acquéreur, ni la maison de ventes ni l’expert de la vente – qui ne sont ni vendeur ni acquéreur – ne pouvaient être tenus au remboursement du prix de la vente annulée. En revanche, la maison de ventes était seule tenue de rembourser les frais de vente, excluant donc toute possibilité de la condamner solidairement avec l’expert.

La garantie

L’intérêt de l’arrêt réside donc sur la question de la garantie. En effet, la maison de ventes estimait qu’il était inéquitable de lui faire supporter la masse des condamnations – frais de vente, dommages et intérêts et dépens – alors qu’elle avait pris soin de s’attacher les services d’un expert, même si celui-ci s’est révélé avoir été négligent. Tandis que l’expert estimait que sa part de garantie devait être limitée compte tenu des manœuvres dolosives de la maison de ventes. Chacun se renvoyant la balle de la responsabilité, la cour d’appel devait trancher le nœud gordien. Pour la cour, la maison de ventes avait indiqué à l’expert que l’aiguière se trouvait depuis plus de soixante-dix ans dans une famille française alors qu’elle était en réalité la propriété d’un professionnel chinois. Cette fausse information avait pu conduire à vicier le consentement de l’expert dans la réalisation de ses opérations. Ce dernier ne s’en sort cependant pas totalement indemne, puisqu’il « devait s’assurer de l’authenticité du vase, [et qu’il] était en mesure, au vu des éléments retenus par l’expert judiciaire, nonobstant les indications erronées données sur sa provenance, d’établir le défaut d’authenticité du vase ». Aussi, « seul son manquement de diligence dans l’examen de celui-ci l’a conduit à retenir son authenticité ». Pour cette raison, la cour d’appel a rejeté la demande de garantie de la maison de ventes, mais a fait droit à celle de l’expert en limitant son engagement à hauteur de 20 %.

Cet arrêt démontre une nouvelle fois la quasi-responsabilité de plein droit du commissaire-priseur, qui peut néanmoins demander la garantie de l’expert consulté, à la condition que le premier n’ait pas lui-même commis de faute !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : La faute du commissaire-priseur limite la garantie de l’expert

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