La chaise est chez l’artiste le prétexte à un travail sur la matière, la couleur et l’espace, dans un temps suspendu.
Paris. Quel rapport y a-t-il entre une chaise et un canal ? A priori aucun, sauf à s’asseoir sur la première pour regarder le second. Mais tel n’est pas le propos de ces deux suites consécutives d’œuvres réalisées ces dernières années par Jean Pierre Schneider (né en 1946). Ce qui intéresse avant tout l’artiste, c’est de faire d’un sujet, d’un objet, un prétexte et un support de peinture.
Juste avant d’aborder le thème de la chaise, Jean Pierre Schneider avait fait une série sur La Baigneuse de Valpinçon d’Ingres. « Il s’agissait d’un travail sur le corps, la courbe, et quand j’en termine avec le corps, j’aime passer à un paysage ou un objet. D’autant que j’ai toujours aimé les objets simples, banals, du quotidien. Et la chaise, on l’a sous les yeux, sous la main… sous les fesses », indique-t-il.
L’artiste a en outre réalisé de nombreuses scénographies, il a mis des chaises sur un plateau de théâtre puis a eu envie de les peindre sur toile, car il sait parfaitement que la chaise donne des directions en fonction du sens dans lequel elle est placée et ouvre ainsi des perspectives. Ou les ferme puisque souvent Schneider met l’assise à la verticale, ce qui assoie différemment l’espace et en change la perception. La chaise rappelle d’ailleurs que, depuis toujours dans ses œuvres, si le sujet ou l’objet est modifié par l’espace dans lequel il se trouve, il peut à l’inverse transformer l’espace qui l’entoure. Et chez Schneider, la chaise a beau être suspendue, immobile, elle se prolonge à l’extérieur de la toile. « Elle a une puissance directionnelle, elle indique un chemin devant elle, le chemin de celui qui la quitte ou de celui qui va venir s‘y poser, car on parle bien sûr toujours de l’homme, de l’humain », dit-il.
Si le thème de la chaise relève de l’intime, celui du canal est évidemment plus tourné vers l’extérieur et un paysage ouvert. Mais là encore il est question de perspectives, d’espace plus large même si un pont se crée souvent avec les chaises lorsque Jean Pierre Schneider ferme les portes de ses écluses et de son espace. Ses aplats verticaux opposent en effet des surfaces frontales et rectangulaires aux lignes de fuite des berges. D’une série à l’autre, la chaise devient porte, la porte devient vantail et le vantail renvoie, lui aussi, à l’humain. Que l’on ne voit jamais mais qui se tient là, en filigrane. Et tous ces motifs deviennent un alibi pour parler de peinture et mettre en avant ce « besoin constant d’un désir pictural », selon les termes de l’artiste.
Car dans ses œuvres il n’y a pas que le sujet : il y a aussi la matière. « J’aime la matière, mais je ne suis pas matiériste. » Ses toiles ne sont ni rugueuses, ni accidentées, ni vraiment en relief. Peintes avec du liant mélangé à de la poudre de marbre et des pigments colorés, elles sont même plutôt lisses. Schneider étale cette matière avec un couteau à maroufler, il la tire vers les bords. « Je racle, je lisse, je retrousse la matière sur elle-même, je la surface. Je cherche une peinture de peau, l’enveloppe de quelque chose de plus profond. Je rentre les choses, je les enfouis, je les rends sous-jacentes. »
Dans les œuvres de Schneider, il n’y a pas que le sujet-objet et la matière : il y a aussi la couleur, les couleurs, des beiges mats, subtils, des ocres rouges, des verts assourdis, retenus, et qui, sur fond d’un existentialisme manifeste, suspendent le temps et génèrent une métaphysique de l’objet. Entre Morandi (les bouteilles), Beckett (Godot) et Ionesco (Les Chaises).
De façon plus terre à terre, le prix d’une toile va de 2 600 à 21 000 euros. Une fourchette large (une fourche même !) qui s’explique uniquement par la taille des œuvres. La cote est donc plus que raisonnable pour un artiste discret dont l’œuvre est de grande qualité et la carrière, longue, mais malheureusement pas assez internationale.
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Jean Pierre Schneider, l’assise de la peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Jean Pierre Schneider, l’assise de la peinture