La collection Paul Allen, nouvelle « vente du siècle »

New York. Le marché de l’art ignore décidément le Covid, la guerre en Ukraine, les menaces de récession mondiale et la montée de l’inflation. En deux jours, la totalité des cent cinquante-cinq lots (moins un Magritte retiré avant la vente) de la collection de Paul Allen ont été dispersés au Rockefeller Center à New York, chez Christie’s, pour un montant faramineux de 1,62 milliard de dollars [quasiment l’équivalent en euros], très au-dessus de l’estimation de 1 milliard de dollars. Fait remarquable, la totalité du produit de la vente sera reversée à des organisations caritatives.

Un record historique pour une vente de collection qui dépasse de très loin le précédent, détenu par la collection Macklowe (922 millions de dollars) composée essentiellement d’œuvres du XXe et XXIe siècles. La collection Allen, elle, constituée en moins de trois décennies, balayait cinq cents ans d’histoire de l’art, depuis la Renaissance avec une peinture de la fin du XVe, début du XVIe, de Sandro Botticelli, jusqu’à des œuvres très récentes, comme celle de Mark Grotjahn (né en 1968) et datée de 2016, en passant par des maîtres tels que Jan Brueghel II, William Turner, Francis Bacon, Lucian Freud, Georgia O’Keeffe ou encore Canaletto, car Venise occupait une place particulière dans la vie du collectionneur américain.

« Ce succès retentissant peut être attribué à la combinaison unique de la qualité intrinsèque des œuvres d’art, de la figure inspirante et visionnaire de Paul Allen et des efforts philanthropiques qui sous-tendent la vente », a souligné le PDG de Christie’s, Guillaume Cerutti à l’issue de la vente. « Il se peut que nous ne retrouvions plus jamais un ensemble de chefs-d’œuvre d’une telle qualité réunis au sein d’une seule et même collection privée », a ajouté Max Carter, vice-président du département XXe et XXIe siècles de Christie’s.

Cofondateur et co-actionnaire avec Bill Gates de Microsoft en 1975, Paul Allen – décédé en 2018 – avait quitté l’entreprise de Seattle au début des années 1980 à la suite du diagnostic d’un lymphome. Sa fortune – estimée à plus de 20 milliards de dollars –, outre la création de nombreuses sociétés dans des domaines aussi variés que les hautes technologies et les médias, lui avait permis de constituer une collection considérable d’œuvres d’art qu’il prêtait volontiers aux musées, leur assurant ainsi une plus grande notoriété.

La vente du soir qui s’est déroulée le 9 novembre a totalisé 1,5 milliard de dollars (1,4 Md€) en seulement soixante lots. Vingt records d’artistes (pour Georges Seurat, Paul Cézanne, Vincent van Gogh, Paul Gauguin, Gustav Klimt, entre autres) ont été enregistrés et cinq œuvres ont dépassé les 100 millions d’euros – du jamais vu.

L’enchère la plus élevée est allée à une toile de Georges Seurat Les Poseuses, Ensemble (Petite version), 1888, qui s’est envolée à 149,2 millions de dollars (144,8 M€), dépassant son estimation de 100 millions de dollars. Cette peinture pointilliste est considérée comme le Seurat le plus important en mains privées. La Montagne Sainte-Victoire, 1888-1890, de Paul Cézanne a obtenu 137,8 millions de dollars, (soit 133,7 M€, achetée 38,5 M$ chez Phillips en 2001), suivie de Verger avec cyprès, 1888, de Vincent van Gogh (117,2 M$, soit 113,7 M€), Maternité II, 1899, de Paul Gauguin (105,7 M$, soit 102,5 M€, voir ill.) et Birch Forest, 1903, de Gustav Klimt (104,5 M$, soit 101,3 M€).

La vente du lendemain, qui comptait quatre-vingt-quinze lots a récolté 115,8 millions de dollars (soit 112,3 M€). Elle a enregistré sept records d’artistes, notamment pour le sculpteur Jacques Lipchitz. En valeur, la collection a été dispersée à peu près équitablement entre l’Amérique, l’Asie et le reste du monde. Christie’s fait remarquer que 15 % des adjudicataires étaient de nouveaux clients.

Pour l’heure, il n’y a donc pas de signe de ralentissement du marché haut de gamme, l’art s’imposant toujours plus comme une valeur refuge pour les ultra-riches.