A propos de Jean Albou, nous pourrions affirmer que la collection est, chez lui, une affaire de destin, car l’homme est avant tout un philosophe : un littéraire. Quoiqu’il soit advenu, malgré des chemins de traverses, la collection semble être ici, comme un sort jeté ; certains diront une passion, d’autres une obsession. C’est avec l’enfance que tout commence. Le père tient une petite entreprise au Maroc, et pour ses vœux de fin d’année, celui-ci édite des séries de cartes postales représentant les grandes œuvres de l’histoire de l’art. Ces chromos seront les premières pièces de la collection de Jean Albou, par-delà la simple accumulation, ce rassemblement d’images marque la fascination d’un petit garçon de sept ans pour la peinture, Le Bain turc de Jean-Auguste-Dominique Ingres,
par exemple, lui a révélé un tout autre monde. A 14 ans, à Nice, se produit une rencontre décisive avec le libraire Jacques Matarrosso. Souffrant d’asthme, à l’écart de ses congénères, l’adolescent prit l’habitude de parcourir les rayonnages remplis de volumes à la recherche des œuvres d’Henri Michaux. Le libraire lui cède des originaux de l’auteur de Plume et lui accorde des facilités de paiement. Pour Jean Albou, cette rencontre est également une rencontre avec l’art contemporain, car le libraire lui montre les travaux des artistes d’alors, la découverte de l’œuvre d’Yves Klein est un véritable choc. A 18 ans, il achète sa première sculpture : un buveur d’eau, un bronze de Edmond Moirignot, le professeur de Giacometti, qui trône toujours sur son bureau de Jaime Tressera à côté d’un Misfit de Thomas Grünfeld (faon à tête de Marcassin), d’un stylo à plume de César et d’une poignée de porte de Ruhlmann en bronze. « J’ai laissé cinq chèques pour acquérir cette œuvre. Je fais toujours comme ça. Si un collectionneur tombe amoureux d’une pièce et qu’il désire l’acquérir, l’absence d’argent ne doit pas être un obstacle. C’est le rôle des galeries que de faire la banque, ainsi elles permettent à l’acheteur de constituer sa collection. » Ses études de philosophie le conduisent à l’enseignement, mais l’échec à l’agrégation le détourne définitivement de l’Education nationale. Rêvant d’indépendance, l’ancien professeur de philosophie se lance alors, en néophyte, dans le Far West de l’immobilier parisien. En cette fin des années 80, le secteur est au mieux et sa petite entreprise fait rapidement florilège. Dans les transactions, les studios sont très vite remplacés par de grands appartements bourgeois. L’apogée sera atteint avec un appartement de 200 m2 qu’il acquiert durant l’été 1990 pour la somme de 80 000 F le m2. Cet appartement est le dernier chantier de Jacques-Emile Ruhlmann, ce sera aussi la dernière affaire de Jean Albou dans le domaine de l’immobilier. En décembre, la Guerre du Golfe renverse l’économie du pays. Un joyau Art Déco sur les bras, et des intérêts galopant à la banque, le malheureux propriétaire découvre et étudie cette période de l’art décoratif. Il lui faudra deux années pour trouver un acheteur qui ne souhaite pas conserver les installations de Ruhlmann. L’avatar immobilier de Jean Albou est finalement une opportunité pour lui de reprendre sa collection et de choisir enfin une voie professionnelle qui soit en accord avec sa passion des collections. Depuis, il développe une société de service autour des collections en recyclant son savoir du montage des dossiers techniques de l’immobilier. Ce métier, qu’il s’est taillé sur mesure, lui permet de vivre dans le monde des œuvres d’art qu’il a toujours affectionné.
Il est devenu aussi expert dans la question des collections d’art car collectionner n’est pas une chose aisée : « La France n’encourage guère les collections, il y a une résistance idéologique qui entretient le mythe du collectionneur comme un archétype du capitaliste. Cette résistance est déplorable et nuit profondément au marché de l’art donc à l’existence même des artistes. » C’est en gérant une grande collection de pièces appartenant aux Nouveaux Réalistes et certainement le plus grand fonds d’œuvres de César, qu’il rencontre et se lie d’amitié avec le sculpteur. A la suite de la disparition de ce dernier, il fut mandaté par la famille pour élaborer le dossier de dation à l’Etat. Spécialiste de l’œuvre de César, nous lui devons la grande rétrospective qui fut présentée à Monte-Carlo et le sera bientôt à Nice, au Musée d’Art moderne et contemporain (d’octobre 2002 à février 2003) ; avec cet événement, il s’est attaché à rappeler et à montrer toute la continuation qu’il y a entre la période des fers soudés et la période des compressions, qu’il n’y a jamais eu de rupture, seulement un changement de médium. Plus qu’une passion, les œuvres d’art sont pour Jean Albou un véritable mode de vie.
Un collectionneur au service des collectionneurs, mais pas seulement...
Jean Albou n’est ni courtier, ni marchand, il offre un service et pour ceux-ci se fait rétribuer en honoraires. Jean Albou a développé son propre domaine à partir d’une société spécialisée dans la gestion des fortunes et du patrimoine. C’est après avoir intégré cette structure pour sa maîtrise des dossiers immobiliers que, peu convaincu par les réels objectifs spéculatifs, il développa un département des collectionneurs d’art. Son champ d’intervention est très large, de la constitution même d’une collection aux arbitrage et à la vente de certaines pièces pour resserrer un fonds. Les services de Jean Albou sont également liés à ces aspects administratifs très spécifiques des collections d’art, la fiscalité, les dossiers d’assurances ; ce qui en fait le spécialiste des questions successorales. Mandaté par la famille de César Baldiccini pour estimer le fonds de plus de 1 100 pièces et constituer le dossier de dation à l’Etat, il fait également partie du groupe de réflexion qu’a constitué le sculpteur Armand. Au côté de Bernard Cesson, il intervient sur Artha, un logiciel pour la gestion des musées et de leurs catalogues raisonnés.
Les lieux de Jean Albou
Les lieux de Jean Albou, c’est d’abord son bureau, plutôt son appartement, rue de Rivoli,
les fenêtres donnant sur le jardin des Tuileries. Un lieu de vie au sein même d’une collection, ce principe est fondamental pour le maître de maison. En pénétrant le seuil de ces lieux, le visiteur découvrira dans le corridor, une grande bibliothèque d’histoire de l’art. Appuyée sur les rayonnages, une échelle en bronze de Ruhlmann. Derrière la salle à manger avec une grande sculpture de l’artiste Chen Zen, le bureau où Art Déco et art contemporain se côtoient laissant deviner l’éclectisme acéré du propriétaire : sur une console, une installation d’Erik Dietman « le vieux philosophe grec », sur la cheminée une compression de César, au sol une pièce naturalisée de Thomas Grünfeld, chien et tête d’âne, à côté un tapis de Sonia Delaunay... Le projet intime de Jean Albou pour présenter ses collections au public n’est pas un musée, mais une maison, sa maison, dans laquelle lui demeurera et qui sera ouverte aux curieux, désireux de voir l’art accroché dans un environnement vivant, un lieu public mais sans l’Etat...
Son œuvre fétiche :
Raymond Hains, Avenue de la Bourdonnais, affiches lacérées.
« Avenue de la Bourdonnais est une œuvre que j’ai achetée, il y a 10 ans, 7 000 livres, ce qui était peu pour une pièce majeure car c’est la période d’émergence des Nouveaux Réalistes. Alors que le Pop Art s’installe aux USA dont Pierre Restany dira que le mouvement est à la taille de l’Amérique, en France, à notre échelle, nous découvrons ce nouveau courant artistique. A mon avis, celui-ci est tout aussi important que le Pop Art, mais il se fera avaler par le poids lourd américain.Ici, c’est la période juste avant la signature du manifeste, Raymond Hains et Jacques Villeglé sillonnent les rues parisiennes à la recherche des panneaux sur lesquels ils vont faire leurs prélèvements.
Cette œuvre possède une double dimension. Il s’agit d’un instant arraché à la réalité urbaine, un prélèvement arbitraire des signes composant cette réalité, c’est un rapport très fort au temps.
Et il y a également cet humour caractéristique de Raymond Hains, cette vraisemblance de tableau. Un tableau que l’on pourrait peut-être rapprocher de l’abstraction lyrique ».
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Jean Albou, une affaire de destin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Jean Albou, une affaire de destin