Au nom de la protection de leur patrimoine, certains pays tels l’Équateur, la Colombie, le Pérou et le Mexique revendiquent depuis peu des objets archéologiques dans les ventes publiques. Comment gérez-vous cela ?
L’Équateur a effectué des saisies conservatoires d’objets appartenant en toute légitimité à des collectionneurs, chez Artcurial, Christie’s et Tajan, fin 2003. Depuis, la procédure n’a pas avancé d’un pouce. Avec plusieurs autres États d’Amérique latine, le terrain est sensible. Donc depuis deux ans, pour chaque vente publique, en accord avec l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), je m’astreins à une procédure qui consiste à envoyer en courrier recommandé le catalogue de la vente aux ambassades des pays concernés. Je les invite à venir examiner les lots afin de m’assurer qu’elles ne formulent pas d’opposition à leur mise en vente. Au préalable, j’ai vérifié que les objets ne figurent pas sur le Art Loss Register, banque de données mondiale des œuvres volées ou pillées. D’autre part, chaque société de ventes tient un cahier de police où sont consignées les pièces et l’adresse de leurs propriétaires. Je pense qu’aujourd’hui nous offrons aux acheteurs toutes les garanties d’origine.
Comment réagissent les représentants des ambassades à vos sollicitations ?
Ils ne se déplacent jamais. Ils nous font parvenir des textes de lois nationales concernant la protection de leur patrimoine archéologique, en essayant à chaque fois de trouver des décrets d’application de plus en plus anciens ! Légalement, nous nous référons à la convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine mondial que la France a ratifiée en 1997. Ce texte, non rétroactif, dit que tout objet sorti illégalement de son pays d’origine après 1997 (année de la signature par la France) doit lui être restitué. Et bien que ce ne soit pas une obligation, je prends très souvent comme référence 1972, année de l’accord passé entre les États-Unis et le Mexique, en évitant de proposer tout élément d’architecture ou stèle.
Malgré toutes ces précautions, êtes-vous empêché de vendre ?
Les maisons de ventes sont tracassées par des courriers systématiques, finalement classés sans suite. Le but est de nous interdire de vendre. Pour cela, ces pays cherchent à nous donner mauvaise conscience. Mais, dans le fond, si j’ai décidé de ne plus vendre d’objets d’Équateur, ce n’est pas par peur des procédures. C’est parce que ce marché est bourré de faux, à l’exemple des petits mortiers zoomorphes Chorrera et des pierres gravées de culture Valdivia.
Que savez-vous de la réclamation du Mexique sur la collection belge Janssen ?
Je crois que le Mexique cherche à vérifier la provenance d’une stèle maya. C’est une démarche habituelle. On en parle aujourd’hui parce que la collection est importante et médiatisée. Mais cette enquête n’ira pas plus loin car les Janssen ont toujours acheté sur le marché international en vérifiant l’origine des pièces. En revanche, je m’étonne que cette stèle n’ait pas été revendiquée auparavant par le Mexique : dans les dix dernières années, elle a pourtant été présentée dans plusieurs expositions européennes.
Voulez-vous dire que ces pays ne s’en prennent pas aux musées ?
Les musées ont connu pendant longtemps une sorte d’immunité qui n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, les différents gouvernements d’Amérique latine leur contestent certains dons ou achats réalisés sur le marché international.
Quid du Musée du quai Branly ?
Bien que le Quai Branly ait effectué très peu d’achats, ces pays lui ont reproché de s’être fourni sur le marché international (en ventes publiques et chez les marchands). La direction administrative du Musée est tombée dans le piège du jeu de la mauvaise conscience. Conséquence : on se retrouve avec une collection publique d’art précolombien d’une pauvreté sidérante, mal exposée et sans cohérence. Mais redonnons le pouvoir aux conservateurs et je suis sûr que cela s’arrangera très vite.
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Jacques Blazy, expert indépendant en art précolombien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : Jacques Blazy, expert indépendant en art précolombien