PARIS
Mistigri de l’année 2009, l’installation parisienne du galeriste américain Larry Gagosian sera l’événement de l’automne. Aménagé par l’architecte Jean-François Bodin, l’espace de 900 mètres carrés déployé sur quatre étages sera inauguré le 20 octobre avec une exposition de Cy Twombly (1). L’artiste fétiche de Gagosian a déjà assuré l’ouverture de ses autres antennes européennes. À cela s’ajoute, au deuxième étage, une exposition très documentée sur les structures démontables de Jean Prouvé, dont le commissariat a été confié au marchand parisien Patrick Seguin.
PARIS - Peu disert, Larry Gagosian fuit la presse comme la peste. Tout juste sait-on qu’il est né en 1945 d’un père comptable et d’une mère comédienne, et qu’il a fait ses études à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Il commence sa carrière modestement en vendant des affiches pour quinze dollars, avant d’ouvrir une première galerie au début des années 1980 à Los Angeles. D’emblée, il aura pour client le collectionneur Eli Broad. En 1979, il prend, à New York, un loft à SoHo avant d’inaugurer un espace à Chelsea en 1985, dix ans avant que ses confrères choisissent ce quartier. Cet homme tenace et réactif est depuis devenu une marque globale, avec trois lieux à New York, deux à Londres, un à Rome, un autre à Athènes, sans compter un bureau à Hong Kong. En novembre, il inaugurera un bureau à Genève sous la direction d’Elly Sistovaris. « Le monde de l’art serait très différent sans lui. Il domine le jeu et il a totalement changé l’image des galeries », indique son confrère new-yorkais David Zwirner.
Le style Gagosian
Certains le considèrent comme le dauphin de feu le marchand new-yorkais Leo Castelli. « Castelli aimait les artistes, et il se concentrait sur ces derniers en se disant que les collectionneurs suivraient. Larry se concentre sur les collectionneurs en se disant que les artistes suivront », module un familier. Même si quelques créateurs comme Ghada Amer et David Salle ont quitté la multinationale, celle-ci affiche tous les premiers de cordée du marché : Takashi Murakami, Jeff Koons, Damien Hirst, Richard Prince… Des créateurs entrepreneurs, qui savent que Gagosian peut maximaliser leur carrière grâce à son vivier de collectionneurs, de Steve Cohen à Roman Abramovitch en passant par Aby Rosen et David Geffen. Sans oublier ses vrais partenaires en affaires, Peter Brant et Jose Mugrabi, deux collectionneurs-marchands. Direct et tranchant, le prédateur est réputé pour rudoyer ses clients, sans que ces derniers ne s’en offusquent. « Il a changé le rapport avec les collectionneurs, confie l’un de ses collaborateurs. Avant, les marchands courbaient l’échine devant les collectionneurs. Lui a changé les règles. Il a montré que c’était lui qui faisait le marché. Les gens acceptent ses colères, son caractère, car c’est lui qui a les pièces et il peut trouver exactement la bonne pièce plus vite que quiconque. » L’homme chapitre tout autant son équipe, pourtant très professionnelle. En novembre 2008, en plein cœur de la crise, il avait adressé cette missive cinglante à ses employés : « Si vous souhaitez continuer à travailler pour Gagosian, je vous suggère de commencer à vendre de l’art. Dans le nouveau climat, tout sera évalué à l’aune de la performance… Je travaille dix-huit heures par jour, ce que d’aucuns peuvent vérifier. Si vous ne souhaitez pas faire de même, dites-le moi. » Certains de ses anciens collaborateurs estiment néanmoins avoir été formés à bonne école. « Larry m’a enseigné le dynamisme, le fait de travailler du matin au soir. Sa méthode, c’est d’être «agressif». Il cible bien l’acheteur, sait mettre la bonne personne devant le bon tableau. Quand il pense que quelqu’un doit acheter une œuvre, il y arrive », indique la galeriste new-yorkaise Stefania Bortolami.
Liens institutionnels
Pourquoi ce marchand omnipotent a-t-il ouvert une antenne à Paris ? « La galerie parisienne aurait pu ouvrir avant les autres en Europe. La ville connaît un changement, les gens y passent plus qu’avant. Paris était un centre important et il va le redevenir », indique Serena Cattaneo, directrice du nouveau lieu. Depuis quatre ans, le galeriste a intensifié ses liens institutionnels avec la capitale, grâce notamment à l’exposition « Monumenta » de Richard Serra (2008) et au plafond de Cy Twombly au Musée du Louvre (2010). Pour la plupart des observateurs, Gagosian aurait choisi la France pour y développer surtout l’art moderne, se rapprochant ainsi des successions d’artistes. « La galerie aura le même agenda que toutes les autres galeries Gagosian. Nous avons montré Picasso à Londres. Ouvrir une antenne à Paris n’est pas nécessaire pour établir une relation solide avec la famille Picasso », dément Serena Cattaneo. Reste que le marchand essaye, depuis six ans, d’élargir le cercle de ses collectionneurs. Il a déjà signé un accord, en 2006, avec la Fondation Alberto et Annette Giacometti, à Paris, pour l’exposition et la commercialisation des bronzes du sculpteur suisse. C’est d’ailleurs avec une exposition de Giacometti que Gagosian inaugurera son bureau genevois. « Nous voulions attirer une nouvelle génération de collectionneurs et faire évoluer la perception de l’artiste. Il y a eu un effet Gagosian, un électrochoc qui a secoué le marché, créé des désirs et augmenté la cote », confie Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Giacometti. Rappelons que l’effet Gagosian avait déjà été profitable à la cote de feu Steven Parrino. C’est aussi un regard neuf qu’il avait essayé de faire porter l’été dernier sur Claude Monet, en organisant une exposition à Chelsea. Pour l’occasion, le marchand avait même réussi à obtenir, du Musée Marmottan à Paris, le prêt de onze tableaux, moyennant un « généreux mécénat ». Rien ne lui résiste.
(1) Gagosian Gallery, 4, rue de Ponthieu, 75008 Paris, tél. 01 75 00 05 92
Larry Gagosian se dérobe aux interviews, sauf quand il s’agit d’attirer le juteux marché émirati. Il a ainsi accordé un entretien au quotidien local The National et s’est exprimé lors d’une table ronde à l’occasion du salon Abu Dhabi Art en novembre 2009. Il n’y a pas fait de grandes révélations, mais le fait même d’entendre le son de sa voix en a été une pour les journalistes présents ! C’est, enfin, dans un espace temporaire à Manarat, sur l’île de Saadiyat (Émirats Arabes Unis), qu’il montre jusqu’au 24 janvier 2011 sa collection personnelle sous le libellé « RSTW », pour Rauschenberg, Ruscha, Serra, Twombly, Warhol et Wool. L’Émirat lui avait déjà acheté, sur Abu Dhabi Art, une toile de Willem de Kooning pour 12 millions de dollars (8 millions d’euros).
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Gagosian s’installe à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Même pas peur ! Telle est la réaction des marchands parisiens devant l’installation de leur énergique confrère, Larry Gagosian. « Il n’a pas appuyé sur un bouton en disant : « Je vais dégommer Perrotin.» Nous sommes tous contents de l’image qu’il va apporter. Il va ajouter une vie sociale dans la capitale. À lui tout seul, il crédibilisera la place de Paris », confie Emmanuel Perrotin, qui partage Takashi Murakami avec le marchand américain. Selon Olivier Belot, directeur de la galerie Lambert, l’installation de ce poids lourd conduira les collectionneurs étrangers à regarder davantage le paysage parisien. « Il est toutefois clair que Gagosian est suffisamment stratège et puissant pour prendre des parts de marché, admet-il. Nous avons en commun Vezzoli, Kiefer et Douglas Gordon, mais les artistes savent jouer sur des créneaux différents. Gagosian donne la puissance, Lambert autre chose par rapport aux musées et aux commissaires d’exposition. Ce serait plus compliqué si l’offre était la même entre les deux galeries. » Pour Thaddaeus Ropac enfin, « toute ville qui prétend être un centre puissant a besoin d’une compétition de haut niveau. L’arrivée de Gagosian nous poussera à travailler encore mieux ».
Légende photo :
La galerie Gagosian, 4 rue de Ponthieu à Paris (2010) © Photo Ludosane
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Gagosian s’installe à Paris