Vous défendez l’art tribal indien, présenté dans l’exposition « Autres maîtres de l’Inde » au Musée du quai Branly. Quelle est la particularité de cet art ?
Il s’agit de l’art des premiers habitants de l’Inde, les Adivasi. Leurs origines sont antérieures à l’hindouisme et au bouddhisme. Loin du kitsch des représentations issues du panthéon hindou, l’art de ces peuples exprime une forte relation à la nature, propre à leur croyance animiste. Il tourne autour de l’éloge de la vie, de la vibration, du rayonnement. Ce que l’on retrouve à travers ces formes d’art, c’est ce que les artistes modernes recherchaient au début du XXe siècle dans l’art des fous, des enfants ou dans les arts africains et océaniens. On touche à quelque chose de profondément inscrit dans l’âme indienne, l’énergie.
Comment cet art est-il devenu visible ?
Pendant des siècles ces tribus ont été ignorées. Au moment de l’Indépendance [de l’Inde], il y a eu une « discrimination positive », permettant à leurs membres d’accéder à des postes dans l’administration. Cet effort de reconnaissance de communautés en voie de disparition ou de mutation s’est prolongé sur le plan artistique dans les années 1970-1980, de la même façon que l’art aborigène en Australie. L’État indien leur a apporté des supports durables, comme la toile et le papier, alors que ces pratiques étaient autrefois rituelles et éphémères, rythmant les mariages ou les récoltes. Les artistes qui ont commencé à se singulariser, comme Jivya Soma Mashe, de la tribu des Warli, ou Jangarh Singh Shyam, de celle des Gond, ont dépassé le cadre rituel pour parvenir à une pratique quotidienne. Ils ont développé un style qui a été remarqué par le gouvernement indien, lequel a institué en 1976 les National Awards. Des années 1980 à la fin des années 1990, on a vu des expositions mélangeant l’art contemporain urbain et l’art contemporain rural, issu des cultures minoritaires.
Y a-t-il des points communs entre ces deux versants de l’art, l’un urbain, l’autre rural ?
L’Inde a longtemps été tournée vers l’image du Shining India (« l’Inde brillante »), vers les idées de progrès et de modernité. Avec la crise, on constate un regain d’intérêt autour des artistes tribaux. Le critique d’art contemporain indien Ranjit Hoskote a écrit en août 2009 qu’il était absurde et criminel de discriminer des artistes en raison de leurs origines culturelles. Dans le même temps, les galeries d’art contemporain Pundole et Chemould Prescott Road les ont montrés à Bombay. En juin, la galerie Chatterjee & Lal, qui figure parmi les plus pointues, va exposer un artiste de la tribu des Warli. Depuis la crise, il y a un temps d’arrêt, un moment de doute vis-à-vis de l’art contemporain et un retour vers les artistes modernes indiens et d’autres formes d’art.
Quel est l’écart de prix entre un artiste tribal et un artiste urbain ?
Le record pour Jivya Soma Mashe est de 13 631 euros, pour Subodh Gupta, il est de 1,4 million de dollars. On est encore loin du record de 2,1 millions de dollars pour l’artiste aborigène Clifford Possum.
Ce hiatus peut-il être comblé ?
Oui, ces prix peuvent être rattrapés et même dépassés. Le marché de l’art en Inde a démarré voilà dix ans seulement, alors qu’il était installé depuis plus longtemps en Australie. L’Inde sera avec la Chine le marché prochainement dominant. Pour l’instant, on n’a vu qu’une vaguelette spéculative.
Pourquoi les artistes tribaux sont-ils cantonnés à la case ethnographique et n’ont-ils pas bénéficié d’expositions dans des musées d’art contemporain ?
C’est un problème asphyxiant, qui n’est toujours pas réglé en Occident, où le terme « contemporain » est associé uniquement à la culture dominante. Ces formes auraient leur place dans l’exposition sur l’Inde que prépare le Centre Pompidou. Mais celle-ci sera en dessous de ce qu’elle aurait pu être, en ne montrant que l’art contemporain attendu. Alors qu’il est partout question de diversité, dans le domaine de l’art, nous en sommes à des années-lumière !
Pourquoi avez-vous choisi le fonctionnement confidentiel en appartement ?
J’aime montrer, argumenter, sensibiliser dans un cadre intime. J’ai deux types de visiteurs, des passionnés d’Inde et des collectionneurs privés qui ont besoin de découvrir les choses dans les meilleures conditions. Plutôt qu’ouvrir une galerie et me lancer dans un nouveau métier, je préfère travailler avec des galeries d’art contemporain existantes, qui ont un savoir-faire et une expérience.
51, rue Gay-Lussac, 75005 Paris, tél. 01 46 33 99 09 (sur rendez-vous).
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Entretien - Hervé Perdriolle, galeriste à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Entretien - Hervé Perdriolle, galeriste à Paris