Depuis 1990, R. Craig Miller, fondateur du département d’Architecture, de Design et d’Arts graphiques du Denver Art Museum (DAM), a constitué le plus important ensemble de design italien des États-Unis. Il supervise aujourd’hui la collection de design dont la croissance est la plus rapide du pays : il l’a enrichie de 300 objets antérieurs à 1900 et de plus de 1 400 objets postérieurs à cette date. Avec ses 1 800 pièces, le fonds du DAM devance de loin celui du Metropolitan Museum of Art, à New York. Il nous donne sa vision du marché du design du XXe siècle et explique pourquoi il « collectionne les collectionneurs ».
Comment voyez-vous le marché du design du XXe siècle ?
Les prix augmentent de façon exponentielle. Récemment, une sculpture de Ray Eames s’est vendue 143 000 dollars à Chicago, et un prototype de chaise signé Eames et Saarinen a fait 129 000 dollars à Los Angeles. Une chaise de Mies van der Rohe approchera vraisemblablement les 500 000 dollars. Il suffit de regarder les résultats obtenus par le Modernisme français pour se rendre compte que, là aussi, les prix vont monter en flèche.
Dans un tel contexte, comment avez-vous réussi à faire du DAM un leader dans ce domaine ?
Personnellement, j’essaie d’avoir une approche bidirectionnelle : nous collectionnons les objets et nous collectionnons les collectionneurs. En 1990, on pouvait acheter des objets types de la génération Saarinen à des prix relativement abordables, mais, pour les musées, cette époque sera bientôt révolue. Récemment, nous avons fait l’acquisition de trente et une pièces, parmi lesquelles une chaise de Mendini et une création de Kuramata. On peut dire aujourd’hui que la collection du DAM est celle qui se développe le plus rapidement dans ce pays. Lorsque j’ai pour la première fois discuté des acquisitions avec mon directeur, il m’a répondu qu’il fallait avant tout collectionner des collectionneurs. Ce qui montre bien qu’il faut alimenter en œuvres aussi bien les collectionneurs que les collections de design du XXe siècle. Je passe beaucoup de temps avec eux, pour me renseigner sur l’état des œuvres et sur les pièces importantes. Il faut souligner le rôle prépondérant des designers. Tout ce travail prend du temps mais, en fin de compte, porte ses fruits. Je tiens d’ailleurs à signaler que c’est un de mes collectionneurs qui a acheté la sculpture de Ray Eames.
Pouvez-vous nous donner le profil type du collectionneur de design et nous expliquer pourquoi il se spécialise dans ce domaine ?
Le plus souvent, le nouveau collectionneur se fie à ses affinités avec les œuvres, car il s’agit d’un domaine visuellement accessible. Nul n’est besoin de grandes connaissances en matière d’iconographie – il n’y a pas ici de zones d’ombre comme pour les antiquités et les pièces du Moyen Âge – et, pour l’instant, la provenance des œuvres ne requiert pas de longues recherches. En outre, le design n’est pas aussi intimidant que le beau mobilier français, par exemple. Contrairement à d’autres spécialités, on peut maîtriser le sujet assez rapidement, avec un certain degré de sensibilité et de sophistication. Ainsi, je connais un collectionneur qui a réuni 300 pièces du début du siècle jusqu’à la période contemporaine. Pourtant, il n’avait jamais collectionné quoi que ce soit auparavant. Les objets de design étant relativement abordables, ils sont d’autant plus attrayants. Et puis, les objets eux-mêmes ont leur charme, que ce soient les formes amusantes de Takahama ou les aspects plus techniques de la télévision de Marco Zanuso. Si l’on n’apprécie plus le design, on peut l’abandonner sans risquer de perdre 500 000 dollars par objet. Les collectionneurs de design sont un peu comme les collectionneurs d’art moderne avant la Seconde Guerre mondiale : ils forment un cercle restreint où règne une certaine camaraderie. Bien que l’éventail des âges et des professions soit très vaste, ils sont tous aussi passionnés.
Hormis votre musée, où sont les grandes collections ?
Après notre propre collection, les plus importantes sont celles du Metropolitan et du Museum of Modern Art, à New York, mais le Philadelphia Museum of Art ne devrait pas tarder à figurer sur la liste. Ce serait merveilleux si le pays comptait une demi-douzaine de musées spécialisés dans le design qui puissent dialoguer ensemble. Mais, pour l’instant, le monde des musées est bien silencieux.
Quelle va être l’orientation du DAM ?
Nous prévoyons d’émettre des obligations au mois de novembre, pour construire une extension d’un coût de 65 millions de dollars. Le musée disposera alors de près de 14 000 m2 de plus que le Whitney Museum, à New York. Une aile entière sera consacrée à la peinture, à la sculpture et au design du XXe siècle. C’est notre projet majeur, et nous essaierons de montrer comment le design moderne devrait être abordé.
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Entretien avec R. Craig Miller
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°89 du 24 septembre 1999, avec le titre suivant : Entretien avec R. Craig Miller