En route pour les présidentielles

Par Armelle Malvoisin · L'ŒIL

Le 26 avril 2012 - 1108 mots

Les voitures ayant appartenu à des chefs d’État constituent
un marché de collection très étroit où la qualité de la voiture prime autant que son pedigree.

Le marché des voitures présidentielles est un tout petit secteur de collection où les spécimens apparaissent au compte-gouttes. Les acheteurs sont avant tout fans d’un constructeur ou d’un modèle particulier. Les marques hexagonales, qui ont exclusivement fourni la République française, ont réalisé des voitures appréciées pour leurs spécificités. La provenance présidentielle est un plus. Parfois, ces morceaux de patrimoine inspirent un sentiment de patriotisme, comme pour ces particuliers russes qui ont acheté à Paris en 2011, pour 221 800 euros, la ZIL du président Khrouchtchev afin qu’elle retourne dans son pays, dans un musée privé russe.

Les voitures d’importants personnages de l’État ou de personnalités politiques fortes ont la même valeur historique que celles d’un président de la République. Par exemple, la Citroën SM cabriolet d’Alain Poher qui, en tant que président du Sénat, a été président de la République française par intérim à deux reprises en 1969 et 1974. Mais aussi la limousine noire Delahaye 180 (1948) commandée par le Parti communiste français pour son président Maurice Thorez, carrossée par Henri Chapron en limousine avec division et totalement blindée à la demande du Parti. Cette dernière a été vendue 31 725 euros, le 12 février 2002 à Paris chez Christie’s.

« Plus le personnage a été horrible, plus sa voiture est prisée, comme les Mercedes-Benz et Horch de Hitler et Himmler, ces grosses voitures décapotables pour saluer la foule, dotées d’un énorme moteur », constate un professionnel qui ajoute que « les voitures des derniers présidents (Mitterrand, Chirac, Sarkozy) présentent beaucoup moins d’intérêt, car il s’agit de voitures de grandes séries, en l’occurrence la Citroën C6 et la Renault Vel Satis ». Directeur du département Artcurial Motorcars à Paris, Matthieu Lamoure n’est pas tout à fait d’accord : « Le fait qu’une voiture ait appartenu à un président, quel qu’il soit, représente une plus-value non négligeable. » L’an dernier, il a par exemple vendu une DS 23 du président Valéry Giscard d’Estaing, en très mauvais état, pour 37 000 euros tout de même. Soit le prix d’un modèle équivalent, sans provenance, mais en bon état. Toujours selon ce spécialiste, la Citroën CX Prestige de Jacques Chirac (conservée au musée de la collection de la présidence Chirac à Sarran en Corrèze) vaudrait autour de 30 000 euros sur le marché. La même voiture, sans la provenance Chirac, ne dépasserait pas 10 000 euros.

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La Simca spéciale du Général
Au lieu d’une Simca Présidence de série, le général de Gaulle commande en 1960 un modèle décapotable quatre portes sur base Simca Vedette, réalisé en deux exemplaires. Pour cela, il a fallu renforcer la plate-forme pour compenser l’enlèvement du toit et le rallongement de 18 cm sans perte de rigidité. « Cet allongement qui dégageait de la longueur aux jambes est imposé par les cotes personnelles de l’illustre client, lequel appréciait sur ce point le confort des places arrière de la DS », précise Matthieu Lamoure, directeur du département Artcurial Motorcars. Ses équipements : capote et séparation à commande électrique, barre de maintien (pour l’utilisateur lors des défilés en ville en station debout), un allume-cigare, deux poignées de maintien, une montre et deux strapontins repliables.

Simca cabriolet Présidence (1960), châssis n° 326075. Moteur V8 version 84 ch à refroidissement amélioré. Carrosserie spéciale et aménagement intérieur en cuir beige par Henri Chapron. Provenance : voiture présidentielle du général de Gaulle.

Adjugée 117 900 euros, le 4 février 2011, Artcurial, Paris.

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La Rolls-Royce de Salazar
Introduites au début de l’année 1955, les toutes nouvelles Rolls-Royce Silver Cloud et Bentley série S étaient destinées à remplacer les vieillissantes Silver Dawn et Bentley Type R. Le nouveau duo bénéficiait de carrosseries plus élancées sur un nouveau châssis caissonné doté de meilleurs freins et d’une nouvelle suspension, cette dernière pourvue d’un réglage électrique de l’amortissement. L’augmentation de cylindrée à 4,887 cm3 et l’adoption d’une culasse à six orifices élevèrent la puissance du robuste et sûr six-cylindres semi-culbuté. La boîte automatique était désormais standard et la direction assistée en option. C’est ce modèle anglais que choisit, en 1956, António de Oliveira Salazar, chef du gouvernement portugais.

Rolls-Royce Silver Cloud Saloon (1956), châssis n° LSWA222, 87,927 km au compteur. Bon état mécanique et de la carrosserie. Carte grise française. Provenance : António de Oliveira Salazar (1889-1970), chef du gouvernement du Portugal de 1932 à 1968.

Adjugée 41 400 euros, le 2 février 2012 à la halle Freyssinet (Paris), Bonham’s, Paris.

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La victoire de Lago et Coty en Talbot
En 1934, Talbot passe sous le contrôle du groupe Rootes, et la filiale française est confiée à l’ingénieur Anthony Lago. En 1946 est mise au point la Talbot Record T26, présentée comme la voiture de série la plus puissante et la plus rapide du marché. Elle est vendue sous forme de châssis, le client se chargeant de faire construire la carrosserie par des artisans carrossiers. Afin qu’elle revienne en compétition, Lago en extrapole une version plus sportive, la Grand Sport T26 GS. En 1950, cette voiture, pilotée par Louis Rosier (et son fils), remporte les 24 Heures du Mans, la première (et dernière) victoire de la marque sur ce circuit. C’est ce qui aurait décidé Vincent Auriol à remiser la Renault Suprastella, qui avait rang de voiture présidentielle, au profit de la Talbot Lago Record. Commandée par Vincent Auriol, cette voiture est surtout connue comme étant celle de l’investiture de René Coty qui l’utilisa pour tous ses déplacements.

Talbot Lago T26L « Présidentielle » (1950), châssis n° 101501, moteur six cylindres 170 CV. Carrosserie par Saoutchik. Provenance : Auriol puis Coty.

Adjugée 180 000 euros, le 2 avril 2006, Osenat, Fontainebleau.

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La reconversion d’Avions Voisin
Fondateur de la firme d’aviation « Avions Voisin », Gabriel Voisin cherche, après la Première Guerre mondiale, à s’imposer dans le domaine de l’automobile de luxe, sans abandonner l’aviation.Cela se concrétise avec la C1, à partir d’un projet proposé par Arnault et Dufresne à André Citroën qui l’avait refusé. Une des premières C1 à carrosserie Voisin est livrée au secrétaire général de la Conférence de la paix début 1919. Le succès de la C1 est consacré par les commandes de la présidence de la République : une torpédo et trois coupés-chauffeur officiels pour Alexandre Millerand, utilisés par son successeur Gaston Doumergue.De plus, Millerand acquiert deux voitures Voisin pour son usage privé. On trouve aussi des Voisin à la cour de Suède et à la cour de Yougoslavie.

Avions Voisin C1 (1920), coupé-chauffeur, moteur 4 l, quatre cylindres. Carrosserie Voisin. Provenance : Alexandre Millerand, président de la République française de 1920 à 1924.

Collection privée, France. 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : En route pour les présidentielles

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