PARIS
La galerie ETC rouvre avec une exposition-hommage à l’un de ses fondateurs, l’historien d’art et poète Maurice Benhamou.
Paris. Sur le mur de droite, un tryptique de Jean Degottex, Lignes-Report (III), daté de 1977, capte le regard, monochrome noir magnétique dont deux pans sont surlignés de très fines estafilades claires. En vis-à-vis, un collage sur toile de Max Wechsler, comme un magma brun en convulsion. Entre les deux, un inox gravé monté sur panneau de bois (Sans titre, 1971) de Lars Fredrikson (1926-1997) : on redécouvre aujourd’hui cet artiste grâce, à la rétrospective que lui a consacrée le Mamac, à Nice. Axe fort de l’accrochage, ces trois « tableaux » repoussent les limites de l’abstraction. Le blanc, le neutre, le presque rien, voilà ce dont il est ici question, à travers une sélection d’œuvres fortes qui parle aussi d’une collection particulière, celle de Maurice Benhamou, cofondateur de la galerie.
Au centre, une petite sculpture de Dennis Oppenheim (Untitled, 1983), sphère échevelée et colorée : « Daniel Templon l’a donnée à mon grand-père lorsque celui-ci avait son fils comme élève », signale Thomas Benhamou. Le jeune galeriste ne manque pas d’anecdotes. Il est en effet familier de chacune des œuvres réunies dans l’exposition : elles occupaient, du vivant de leur propriétaire, le rez-de-chaussée de son appartement du boulevard de Grenelle. Critique d’art, poète, romancier…, Maurice Benhamou s’est éteint en décembre dernier à l’âge de 90 ans. Thomas Benhamou, son petit-fils, s’était associé à lui en janvier 2019 pour ouvrir cette galerie, après s’être un temps cherché dans la finance et dans le droit. Ce lieu parle autant de la passion du grand-père pour un « art minimal sensible » que de la transmission de ce goût. En reprenant le titre de son dernier roman, très autobiographique (1), cette « Trace du vent » veut offrir une illustration concise et intime de la collection qu’il constitua au cours de sa vie, essentiellement à partir de dons que lui firent ses amis artistes.
Ce normalien né à Casablanca en 1929 fut en effet lié à Jean Degottex dont il devint l’héritier testamentaire, conservant une partie de son œuvre, majoritairement les tableaux des années 1970, et, par choix, des très grands formats. Maurice Benhamou comptait également parmi les proches de Lars Fredrikson, qui partageait avec lui ses recherches, ses doutes, et lui laissa à sa mort nombre d’œuvres. Brion Gysin fréquentait aussi ce cercle de plasticiens et poètes ; il est présent avec une petite gravure de 1960, tout comme Martin Barré dont sont montrés deux tableaux d’un dépouillement extrême. Méditation sur la mort de la femme aimée, le texte de La trace du vent met en parallèle le chagrin de l’absence et la quête dans l’art d’un espace immatériel. Ainsi le vide peut-il être insupportable, ou bien promesse de plénitude.
Au fond de la galerie, on s’arrêtera devant une figure géométrique pâle de René Guiffrey, Page 181B (III), dont le verre mat produit un halo de lumière laiteuse. Puis, on fera face à l’allégresse délicate de Printemps I, de Béatrice Casadesus, la seule artiste femme du groupe, l’une des rares, aussi, à être encore là, quand cette génération est en train de disparaître. Nul doute cependant que ces œuvres, dont l’abstraction radicale vaut parfois à Thomas Benhamou quelques remarques peu amènes des passants, connaîtront un regain d’intérêt. Leurs prix – de 10 000 euros à 250 000 euros pour la grande toile sur lin de la série « Report » de Degottex – couvrent un spectre très large, selon que leurs auteurs ont atteint la reconnaissance institutionnelle ou ont cultivé l’effacement jusqu’au bout. La galerie permet ainsi de découvrir des artistes d’autant plus précieux et touchants que leur travail, tels les bleus âpres et poétiques des « Carbones » de Claude Chaussard, a été peu montré.
(1) Maurice Benhamou, La Trace du vent, 2004, éd. L’Harmattan.
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Éloge de l’ineffable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°547 du 5 juin 2020, avec le titre suivant : Éloge de l’ineffable