Un artiste peut-il réaliser un travail artistique de facture classique tout en menant des recherches expérimentales parmi les plus avant-gardistes ? En travaillant aussi bien le dessin que la gravure, la peinture à la bombe que le collage, la radio que le téléviseur ou la bande magnétique, Lars Fredrikson prouve que la diversité des pratiques est bel et bien possible.
Plasticien d’origine suédoise, arrivé à Paris dans les années 1960 pour finalement poser bagages dans le Sud, Lars Fredrikson appartient à l’école de Nice sans véritablement en faire partie. Professeur à la Villa Arson de 1970 à 1991, Fredrikson a réalisé un travail à l’écart de tout : des tendances, de la reconnaissance, et il aura fallu attendre la rétrospective que lui consacre actuellement le Mamac à Nice, en partenariat avec le Nouveau Musée national de Monaco, pour (re)découvrir jusqu’à son nom.
Et pour cause, travaillant reclus dans ses ateliers d’Antibes et de Vevouil, dans le Luberon, Fredrikson n’a exposé qu’une dizaine de fois de son vivant – dont une, en solo, en 1972 à la Fondation Maeght. Pire, on pensait son travail détruit par lui-même à la veille de sa disparition en 1997. Heureusement, il n’en est rien. Il faut bien reconnaître que l’artiste a réalisé une œuvre complexe et radicale qui ne facilite pas sa diffusion. Sculpteur « sans matière » ou façonneur d’espace, Fredrikson a en effet cherché à donner forme à ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas : les ondes, les ultrasons, etc. Dans les années 1960, alors qu’il développe une peinture gestuelle abstraite, véritable sismographie de sa psyché, le plasticien crée, par exemple, des dispositifs transformant les fréquences en dessins sonores sur les écrans de téléviseurs cathodiques. Bricoleur ingénieux, touche-à-tout, jouant aussi bien du marteau que de l’électromécanique, Fredrikson veut représenter l’inframince, rendre visible l’invisible, faire entendre l’imperceptible, proposant aux spectateurs de vivre de véritables expériences. Dans les années 1970, Fredrikson détourne ainsi l’usage du fax pour en faire une machine à dessiner : via d’immenses antennes radio plantées dans son jardin d’Antibes – ce qui lui vaudra la suspicion du voisinage –, l’artiste capte des fréquences de messages pour les convertir en dessins parasites.
Mais son travail le plus insaisissable reste sans doute son œuvre sonore. Transformant des ultrasons et autres phénomènes inaudibles en impulsions électriques, Fredrikson crée de véritables sculptures mises en espace à l’aide d’appareils amplificateurs. À la manière d’un Pierre Henry, Fredrikson enregistre les battements de cœur de la chanteuse Françoise Hardy, le bruit de la foudre, celui de la rue, etc., qu’il déforme ensuite dans son studio. Sculptures sonores ou pièces musicales ? À l’époque, Lars Fredrikson refuse toute intention musicale et préfère parler de « bruits ». Si les œuvres obtenues, dont certaines sont aujourd’hui diffusées dans une salle du Mamac, semblent parfois proches de la musique concrète de Pierre Schaeffer, voire de la musique électronique, l’artiste ne se dit jamais musicien, mais plasticien. Lors d’une exposition à la Villa Arson, en 1990, Lars Fredrikson présente 900313 dans l’un des parkings en sous-sol de l’école d’art. L’œuvre, une pièce sonore, s’interrompt dès qu’un visiteur appuie sur l’un des interrupteurs lumineux du parking. Ou comment rester dans l’ombre…
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : (Re)Découverte : Lars Fredrikson