La vente aux enchères de la collection d’Art nouveau d’un musée japonais se profile à Paris au moment même où ce marché présente des signes de reprise.
Le 16 février à Paris, Sotheby’s offrira la plus importante collection d’Art nouveau français sur le marché depuis de nombreuses années : celle, nippone, du Garden Museum de Nagoya, constituée dans les années 1990 par Takeo Horiuchi, magnat japonais de l’immobilier et grand collectionneur. Fasciné par l’influence des arts du Japon sur l’art occidental entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, Horiuchi a fait appel à Alastair Duncan, spécialiste de cette période, pour l’aider à construire sa collection. Ils réunissent en quelques années nombre de meubles et d’objets décoratifs emblématiques de l’Art nouveau, lesquels étaient, récemment, visibles dans ce musée de Nagoya.
Horiuchi explique sa décision de s’en séparer à la suite du séisme qui provoqua le tsunami et la catastrophe de Fukushima en 2011. Il a souhaité céder toute sa collection d’un bloc en mains privées. Un collectionneur américain de l’œuvre de Louis C. Tiffany a accepté de la racheter dans son intégralité, mais il n’a désiré conserver que la partie Arts & Crafts qui l’intéressait. Il a confié à Sotheby’s le soin de disperser les pièces d’Art nouveau français et européen aux enchères, en espérant un retour sur investissement.
Cela fait plus de vingt ans que l’Art nouveau n’a plus vraiment la cote, sauf auprès d’un groupe d’irréductibles passionnés. Or, depuis deux ans, ce marché, qui semble reprendre de la vigueur, va dans le sens annoncé par certains du réveil de l’Art nouveau. En juin 2010 à Drouot, un ensemble d’Eugène Gaillard composé d’un lit, d’une armoire, d’une table et d’une paire de chaises, estimé au mieux 40 000 euros, a été adjugé 138 800 euros. Tandis qu’une petite table d’Hector Guimard (est. 20 000 euros) s’est envolée à 200 000 euros. En décembre 2010, toujours à Drouot, un guéridon aux libellules signé Émile Gallé (est. 30 000 euros) a trouvé preneur à 80 500 euros.
En mars 2011 à Paris chez Christie’s, quelques pièces de mobilier aux nénuphars de Louis Majorelle de la collection du château de Gourdon ont rallumé la flamme : un grand lit et sa paire de chevets emportés pour 1,1 million d’euros ; un petit bureau disputé jusqu’à 259 000 euros ; un guéridon parti pour 133 000 euros et une lampe avec son abat-jour en verre signé Daum cédée à 65 800 euros. En novembre 2012, toujours à Paris chez Christie’s, plusieurs meubles de Gaillard ont vu leur estimation être multipliée par deux ou par trois.
Éléments d’architecture
Les éléments de décoration et d’architecture Art nouveau sont collectionnés comme de véritables sculptures par les amateurs. Il en passe peu sur le marché. En 2009 à New York chez Christie’s, une section de balustrade d’Hector Guimard au motif emblématique, réalisée vers 1900 pour l’entrée du métro parisien qui a fait la célébrité de l’architecte, s’est vendue 27 500 dollars (21 000 euros). Plus rare et spectaculaire, la balustrade créée par René Lalique pour son stand à l’Exposition universelle de Paris en 1900 était formée de cinq parties figurant chacune une femme ailée : trois aux mains jointes et deux aux mains levées dont celle-ci, adjugée 134 500 dollars (145 000 euros en valeur réactualisée) chez Christie’s à New York en 1998.
Balustrade femme ailée, René Lalique, vers 1900, bronze patiné, fonte à la cire perdue. Signée Lalique. Hauteur : 99,5 cm, largeur : 81 cm, profondeur : 41 cm. Provenance : ancienne collection du Garden Museum de Nagoya (Japon).
Estimée 200 000 à 300 000 euros pour la vente du 16 février 2013, Sotheby’s, Paris.
Le mobilier Art nouveau
Gallé, Majorelle et Guimard sont les trois plus grands créateurs de meubles Art nouveau aux lignes s’inspirant de formes végétales. Ce mobilier a connu un certain désamour depuis une vingtaine d’années, avec une décote à la clé. S’il existe plusieurs versions de cet élégant Bureau aux orchidées de Majorelle, celui-ci est le seul connu de cette envergure avec deux lampes en forme d’orchidées, fruit d’un travail de collaboration avec Daum Frères pour les coupes en verre. Il avait été acquis aux enchères à New York en 1998 à près de 700 000 dollars (soit 800 000 euros en valeur réactualisée). Un petit modèle de ce bureau (sans les lampes) fait partie des collections du Musée d’Orsay.
Bureau aux orchidées, Louis Majorelle, vers 1903, acajou, bronze doré et cuir estampé, abat-jour en verre de Daum Frères. Hauteur : 92,5 cm, largeur : 174 cm, profondeur : 135 cm. Provenance : ancienne collection du Garden Museum de Nagoya (Japon).
Estimé 250 000 à 300 000 euros pour la vente du 16 février 2013, Sotheby’s, Paris.
Des bijoux d’un nouveau genre
Le marché du bijou Art nouveau n’a jamais faibli. Au contraire, il s’est toujours valorisé en se focalisant sur les créations rares et spectaculaires. Notamment celles de Lalique, qui a apporté un renouveau à la joaillerie tant au niveau des sources d’inspiration que des matériaux utilisés. Lalique employait des matériaux jugés moins nobles, comme l’émail par exemple. Cette superbe broche figurant un visage
de femme en léger relief émaillé vert d’eau, au front orné d’une pensée bleutée, dans un décor en émail de plique à jours dans les camaïeux de bleu, en est une éclatante démonstration. Elle avait été achetée 47 700 livres sterling (85 000 euros en valeur réactualisée), chez Christie’s à Londres en 1999.
Broche « Pensée » Art nouveau, René Lalique, vers 1899-1901, émail, perle fine baroque, diamants et or. Signée Lalique. Hauteur : 6,5 cm. Provenance : ancienne collection du Garden Museum de Nagoya (Japon).
Estimée 100 000 à 120 000 euros pour la vente du 16 février 2013, Sotheby’s, Paris.
Les Japonais et la verrerie
Dans les années 1980, des Japonais férus de verrerie Art nouveau achetaient en masse. Les prix ont flambé, puis se sont tassés au début des années 1990. Le marché japonais est toujours actif, quoique moins vigoureux. Il fonctionne à présent en circuit fermé avec des salles de ventes et des antiquaires locaux. En 2009, la maison de ventes tokyoïte Est-Ouest Auctions a adjugé un exceptionnel vase « Rose de France » de Gallé pour 34 725 000 yens (260 000 euros). Un autre modèle « Rose de France » s’est vendu 153 750 euros en avril 2012 à Drouot. Ce grand vase au décor floral de marqueterie de verre (la technique la plus aboutie de Gallé), gravé d’un texte de Verlaine et conçu pour l’Exposition universelle de 1900, fut acquis pour un peu plus de 160 000 dollars (180 000 euros en valeur réactualisée), à New York chez Sotheby’s en 1997.
Vase parlant, Émile Gallé, vers 1900, verre multicouche gravé et marqueterie de verre à décor d’orchidées sauvages, la base à décor de bulbe, le col à trois pointes pincées à chaud. Signé et daté « Gallé Expos. 1900 » en camée et gravé sur le corps des mots de Paul Verlaine Des visions de fin de nuit. Hauteur : 41,2 cm, diamètre : 12,5 cm. Provenance : ancienne collection du Garden Museum de Nagoya (Japon).
Estimé 80 000 à 120 000 euros, le 16 février 2013, Sotheby’s, Paris.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Du nouveau pour l’Art nouveau ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Anticthermal, 12/14, rue du Placieux, Nancy (54), tél. 03 83 28 13 31, www.anticthermal.com
Sotheby’s, 76, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris-8e, tél. 01 53 05 53 05, www.sothebys.com
Drouot, 9, rue Drouot, Paris-9e, tél. 01 48 00 20 20, www.drouot.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Du nouveau pour l’Art nouveau ?