Deux très importantes collections de dessins, chez Me Picard et Me Tajan, ont attiré des marchands internationaux prêts à consentir des prix extrêmement élevés.
PARIS - C’était la plus importante enchère de l’année à Drouot : 22 665 465 francs, frais compris, payés par un collectionneur européen dans la vente du 27 octobre de Me Kohn, pour un Picasso de la "période bleue", Les blondes chevelures ou La ronde des fillettes, peint à Paris en 1901 et estimé entre 25 et 30 millions de francs. Entré dans la collection de Pierre Lièvre en 1921, le tableau n’en était sorti que soixante-neuf ans plus tard, pour être mis sous le marteau, par Christie’s à Londres, le 3 décembre 1990, estimé alors entre 60 et 80 millions de francs. Le tableau ayant atteint l’équivalent de 45 millions de francs, enchère inférieure à son prix de réserve, n’avait donc pas été vendu – comme le précise, du reste, le catalogue de Me Kohn.
Les deux ventes de dessins les plus importantes de ces dernières années à Paris, l’une chez Me Picard le 20 octobre, et l’autre le 28 octobre, chez Me Tajan, tous deux assistés par l’expert Bruno de Bayser, comportaient en revanche des œuvres que l’on n’avait pas vues sur le marché depuis fort longtemps. Les vacations ont démontré jusqu’où peuvent monter des enchères lorsque la grande qualité, la rareté et une excellente provenance suscitent une concurrence internationale.
La vedette de la vente de Me Picard, consacrée principalement à des dessins XVIIIe provenant pour la plupart de trois collections privées, était la très jolie sanguine de Watteau, Deux études de guitariste, estimée 600 000 francs et adjugée 1,6 million de francs à un marchand européen. Cinq enchérisseurs ont poussé le dessin jusqu’à un 1,2 million de francs, avant que la bataille ne se concentre autour d’un musée, une galerie suisse et l’acheteur. Le jeune dénicheur, un dessin au crayon noir de très belle qualité de François Boucher, estimé prudemment à 80 000 francs seulement par Bruno de Bayser en raison d’un sujet trop "bergerie", a été adjugé 182 000 francs.
Une forte concurrence
Moins surprenant a été le prix de 175 000 francs atteint par un pastel, Portrait de Monsieur Raguenet de Saint-Albin, échevin de la Ville d’Orléans, de Jean-Baptiste Perronneau, estimé entre 120 000 et 150 000 francs, qui a été préempté par le Musée d’Orléans. Lors de la vente de la collection Eugène Kraemer en 1913, le même dessin avait été adjugé 23 000 francs, l’équivalent de 345 000 francs de notre époque, et l’un des prix les plus modestes de la vacation ! Le produit total de la vente de Me Picard a été de 4 685 200 francs, dont 87,36 % de vendu, soit 4 093 400 francs.
Huit jours plus tard, Me Tajan mettait sous le marteau cinquante-sept dessins de trente-six artistes, en majorité des écoles hollandaises et flamandes, provenant d’une seule collection, celle d’un amateur belge. Pedigree irréprochable, tous avaient été achetés dans deux grandes ventes, celle de la collection Oppenheimer en 1936 et celle de la collection Mensing en 1937. D’aucuns jugeaient Me Tajan téméraire de vendre des dessins hollandais à Paris, mais les résultats lui ont donné raison. Peu d’acheteurs français mais une forte concurrence entre Américains, Britanniques, Belges, Suisses et Allemands – dont plusieurs marchands agissant pour le compte de musées –, a contribué à des enchères spectaculaires.
La grande surprise de la vente, qui a totalisé 6 836 000 francs, a été le lot 48, Rivière serpentant dans un paysage de Philip de Koninck. Estimée entre 150 000 et 200 000 francs, cette aquarelle gouachée, d’un intérêt esthétique relatif mais d’une très grande rareté, et donc très convoitée par bon nombre de grandes universités et de musées, a été vendue 1 635 000 francs avec les frais à un marchand américain pour le compte d’un musée aux États-Unis.
Laburnum de Tiffany
De même, le dessin Arbre au bord d’un chemin, en bon état, que Bruno de Bayser avait d’abord estimé comme une œuvre anonyme entre 15 000 et 20 000 francs, avant de le donner à Jacob van Ruisdael et élever son estimation à environ 100 000 francs, s’est envolé pour 820 000 francs. Il a été acheté, comme le Koninck, par un marchand américain pour le compte d’un musée aux États-Unis.
"La première très bonne vente de mobilier de l’année" : c’est ainsi que l’un des plus grands marchands parisiens a décrit la vacation du 9 novembre de Mes Rabourdin et Choppin de Janvry. Une vente, faite sans tapage, de soixante lots de "tableaux anciens, objets d’art et de bel ameublement" selon la dénomination classique de Drouot, mais qui comprenait nombre d’objets et de meubles nouveaux pour le marché. Les marchands étaient donc au rendez-vous.
Une marquise Louis XVI en bois laqué gris, décrite comme "rare", estimée à 150 000 francs, s’est vendue pour 194 000 francs ; un petit bureau de pente Louis XV, estimé entre 200 000 et 250 000 francs, a été adjugé 380 000 francs. Une "importante paire de fauteuils" du Piémont XVIIIe siècle, un bonheur du jour, époque Transition, estampillé R.V.L.C., et une paire de tables de salon, "travail de Roentgen" fin XVIIIe, ont tous plus que doublé leurs estimations pour atteindre respectivement 445 000, 550 000 et 1,9 million de francs.
Succès aussi pour le très bel ensemble de soixante-huit vases en dinanderie de Claudius Linossier, de la collection du marchand Alain Lesieutre, dispersé le 16 novembre par Mes De Quay et Lombrail pour un total de 1 313 000 francs avec seulement huit rachats. Le reste de la soirée, qui a totalisé 4 992 100 francs, s’est avéré plus décevant. 58 lots sur 107, de mobilier, sculpture et verreries se sont vendus, mais plusieurs objets importants, tels que la lampe de table Laburnum de Tiffany, estimée entre 400 000 et 600 000 francs, ainsi que des meubles en fer forgé de Jean-Michel Franck, et deux lampes de Carlo Bugatti estimées entre 80 000 et 100 000, et entre 350 000 et 400 000 francs, n’ont pas trouvé preneur.
1. Suiveur de Marco Ricci, Jeune fille arménienne conduite à l’église pour son mariage, Ader-Tajan, 25 octobre, 678 869 F.
2. Pablo Picasso, Les blondes chevelures ou La ronde des fillettes, Me Kohn, 27 octobre, 22 665 465 F.
3. Antoine Watteau, Deux études de guitariste, Picard, 20 octobre, 1 751 920 F.
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Dessins, Gloria in excelsis Drouot…
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Abonnez-vous dès 1 €Contrairement à ce que nous avons indiqué dans notre numéro 8 de novembre (page 51), la vente d’art contemporain de Me Loudmer à Drouot, le 12 octobre, comprenait 189 lots et non 289. Avec 100 lots vendus sur 189, un peu plus de la moitié des lots a donc trouvé preneur. La vente d’art moderne du 16 octobre a totalisé de son côté 65 % de lots vendus, 129 sur 198.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Dessins, Gloria in excelsis Drouot…