L’engouement pour l’orientalisme reste intact auprès des collectionneurs occidentaux et orientaux. Mais les prix tendent à s’assagir après l’envolée de 2007 et 2008.
Après la prise d’Alger en 1830, de nombreux artistes ont répondu au fantasme de l’Orient. Les voyages en Égypte, au Maghreb ou en Palestine deviennent le pendant du Grand Tour d’Italie. Le marché n’a pas toujours accueilli à bras ouverts les Orientales lascives ou les cavalcades de chevaux. Jugée léchée et mièvre, cette peinture a longtemps été mise au pilori, mais la réhabilitation du style pompier, vers le milieu des années 1970, a profité par ricochet à l’orientalisme. Le sujet prime alors parfois sur la notoriété de l’artiste.
Delacroix et Dinet, stars de l’orientalisme à leur manière
De fait, certains « faiseurs » à l’esthétique discutable, comme Adam Styka, ont pu décrocher des sommes coquettes. Le xixe siècle reste dominé par la troïka Eugène Delacroix, Jean-Léon Gérôme et Théodore Chassériau. Le bref séjour de Delacroix en 1832 au Maroc et à Alger a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de l’art : une version de Femme d’Alger dans leur appartement de 1848 atteint 2,6 millions de francs à Drouot en 1994.
Bien que Chassériau n’ait effectué qu’un seul voyage en Algérie, et que sa mémoire lui ait joué quelques tours, sombrant plus dans le pittoresque que dans la précision photographique, ses œuvres sont très appréciées. En 1994, Caïd faisant l’aumône à des mendiants maghrébins a décroché 4,6 millions de francs chez Picard. En 2007, une odalisque couchée obtient 320 000 livres sterling sur une estimation de 80 000 livres.
Étienne Dinet et Jacques Majorelle restent les deux figures de proue d’un xxe siècle privilégiant la gaieté des sujets et des coloris. L’engouement pour Majorelle a connu un pic en 2008 chez Christie’s avec une gouache adjugée pour 802 850 livres sterling. Même si la crise a calmé les appétits, une de ses œuvres est partie pour 657 250 livres sterling, au-dessous de l’estimation basse, en novembre 2009. Un prix non négligeable quand on sait que sa cote stagnait autour de 15 000 euros à la fin des années 1980.
Converti à l’islam, Dinet a surtout peint des scènes de jeu et d’amour de la vie saharienne. Il jouit d’une aura particulière auprès des collectionneurs algériens. « C’est une rencontre heureuse entre un marché, un goût, un artiste qui correspond pile à ce que ce que les collectionneurs recherchent. Mais aujourd’hui, les prix se sont tassés et les clients ne veulent plus payer des prix exorbitants », observe Pascale Pavageau, spécialiste de Sotheby’s. Ainsi, en mai dernier, une scène de caravane estimée 250 000 euros est restée sur le carreau chez Tajan. Idem pour une lecture du Coran affichée en décembre 2009 pour 400 000 euros par Gros & Delettrez.
Les collectionneurs orientaux sont sur la brèche
Étrangement, alors que ces œuvres ont été produites par des artistes occidentaux pour des amateurs eux aussi occidentaux, cette vision assez colonialiste intéresse aussi les Orientaux, et pas n’importe lesquels puisque l’émir du Qatar, le sultan d’Oman et le roi du Maroc comptent parmi les acheteurs les plus actifs, distançant de loin l’Algérie, autrefois locomotive du marché. En Égypte, le philanthrope Shafik Gabr possède une collection évaluée à 50 millions de livres sterling et dont la conservation a été confiée à une spécialiste de Christie’s, Dina Nasser-Khadivi. Ce collectionneur accueille régulièrement des séminaires favorisant l’entente et la compréhension entre l’Orient et l’Occident.
Chaque zone géographique développe ses propres intérêts. Si les pieds-noirs s’attachent aux scènes du quotidien, les Orientaux succombent à l’imaginaire et rechignent devant des scènes de bédouins jugées dévalorisantes. De même, les Africains du Nord boudent les aquarelles tandis que les potentats du Golfe, élevés à l’anglaise, apprécient cette technique très délicate.
Néanmoins, certains grands acheteurs semblent avoir terminé leur collection et achètent moins aujourd’hui. La crise est passée par là, et l’envolée s’est calmée. Le marché souffre d’une marchandise raréfiée, d’une pléthore de faux et d’une clientèle volatile et restreinte.
Eugène Delacroix (1798-1863) : en 1832, Delacroix accompagne la mission diplomatique française auprès du sultan Abd al-Rahman au Maroc, réalisant à l’occasion des carnets d’aquarelles.
Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867) : connu pour sa Grande Odalisque, ce peintre a rêvé et non exploré l’Orient, contrairement aux peintres voyageurs.
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : harems et marchés aux esclaves comptent parmi les thèmes de prédilection de ce peintre pompier réputé pour sa facture très léchée.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Des collections très orientées
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Des collections très orientées