La vente de la succession Ruth Francken a sensibilisé un nombreux public venu
soutenir avec force l’œuvre de cette grande artiste oubliée.
PARIS - Les 20 et 21 septembre à Drouot étaient dispersés près de 450 tableaux-reliefs, sculptures-objets, peintures, reliefs photométalliques, dessins-collages et estampes de Ruth Francken, artiste franco-américaine d’origine juive d’Europe de l’Est quasi tombée dans l’oubli, décédée il y a un an. 1,6 million d’euros ont été enregistrés à l’issue de la vente de son atelier, livré sans prix de réserve, sous le marteau du commissaire-priseur parisien Olivier Doutrebente. Soit cinq fois l’estimation de départ ! L’absence de cote pour cette artiste qui, bien qu’ayant participé à de nombreuses expositions internationales, s’était volontairement écarté de tout circuit commercial, a pourtant manqué de lui être fatal. Car l’ensemble a failli partir au domaine de l’État : les héritiers (neveux de l’artiste), ignorant tout de la valeur de l’atelier de leur parente, voulaient renoncer à la succession. Leur notaire n’était pas non plus convaincu. Le flair du commissaire-priseur, bien que généraliste et de profil classique, a eu raison de l’histoire. « Je ne suis peut-être pas un pro de l’art contemporain, mais j’ai l’œil. Et j’y ai cru à cette vente, lance Olivier Doutrebente. Et comme je ne suis pas non plus un spécialiste de l’art comptant pour rien, je me suis engagé, avant la vente, auprès des héritiers, à payer tout déficit éventuel. » Le commissaire-priseur a donc fait les frais d’un catalogue bien documenté et très imagé, rédigé en bicolore noir/fuchsia, indiquant les lots à vendre le premier jour (lots impairs et noirs) et le second jour (lots pairs et fuchsias), afin de proposer de façon équitable des œuvres de chaque période pour les deux ventes. Un effort scénographique appréciable (si rare à Drouot) dans une salle relookée en noir et fuchsia, un écran plasma à l’entrée montrant le tour de salle commenté du commissaire-priseur, un site Internet très pratique et même un cocktail d’inauguration en accord avec le code couleurs de la vente avec notamment un jus de betterave du plus bel effet : « Tout cela représente de l’argent, mais cela vaut le coup », argumente le commissaire-priseur.
Coup de maître
Le jour du premier coup de marteau, Olivier Doutrebente inspecte ses troupes : costumes noirs et cravate ou pochette rose pour les hommes ; au choix foulard, vernis à ongles, escarpins, collier, bracelet et même lunettes roses pour les femmes. Tout le monde joue le jeu. La salle est pleine à craquer deux jours durant. Beaucoup voudront acheter « une petite chose de Ruth pour pas grand-chose », mais ils repartiront bredouilles. Les enchères flambent, menées de main de maître par un commissaire-priseur gonflé à bloc. La plus haute enchère revient à Identification n°2, (Tchécoslovaquie) de la série « Objekte ». Cette technique mixte de 1970 composée d’un collage de timbre sur fond imprimé, contrecollé sur panneau partiellement calciné, dans un emboîtage en aluminium et Plexiglas avec une loupe mobile montée sur un système de contrepoids, s’est envolée à 132 000 euros, désormais le record mondial pour l’artiste. Une autre pièce de la même série, Identification n°3, (USA-Vietnam), est montée à 74 400 euros. Le très attendu siège Homme de 1970, en polystyrène noir, a été adjugé à un collectionneur français au téléphone pour 57 600 euros, un record pour cette pièce de design culte des années 1970 dont le Musée des Arts décoratifs de Paris possède un exemplaire. Televenus (1969), une sculpture-objet de 1,20 m représentant un téléphone couché sur un matelas de cuir noir, a été adjugé 30 000 euros. Les reliefs photométalliques des années 1972-1973, sur la thématique forte des ciseaux, ont énormément fasciné les acheteurs. Les meilleurs prix ont été obtenus pour Lullabye, emporté pour 62 400 euros ; Orchestre n°1, parti pour 48 000 euros, et Ios n°1, vendu 36 000 euros. « Des amateurs français et étrangers, particuliers et marchands, ont découvert la qualité et le génie inventif de cette femme, note Olivier Doutrebente. Phénomène générationnel, nombre d’acheteurs sexagénaires ont apprécié cet œuvre abouti des années 1970 et se sont reconnus dans cette période de création ». Un vrai coup de maître.
- Experts : Agnès Sevestre Barbé et Amaury de Louvencourt - Nombre de lots : 533 - Estimation : 300 000 euros - Résultat : 1,6 million d’euros - Lots vendus : 100 %
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Coup de maître
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Coup de maître