Collectionner les estampes ? Un moyen d’embrasser l’histoire de l’art occidental à des prix raisonnables, du XVe siècle à nos jours.
Du 11 au 13 avril, le Grand Palais ouvre ses portes au Salon international de l’estampe et du dessin. Les galeries y présenteront leurs plus belles estampes – « des œuvres originales, moins chères que le dessin, et qui permettent d’embrasser cinq siècles d’histoire de l’art », commente le marchand Didier Martinez. En effet, ces dernières – résultats de l’impression d’un dessin, qu’il soit fait sur une plaque de cuivre ou de bois dans le cas d’une gravure ou sur pierre pour une lithographie – continuent de remplir la fonction qu’elles avaient dès leur origine : diffuser une œuvre, de la façon la plus économique possible. Car, si les pièces les plus rares et importantes dans l’histoire de l’art sont effectivement onéreuses, de très belles pièces se négocient pour quelques dizaines d’euros.
Cet art remonte sans doute au XVe siècle, lorsque les orfèvres florentins encrent leurs nielles pour en garder une trace. À partir de 1500, Albrecht Dürer est le premier à utiliser du bois gravé, plus simple d’utilisation, pour apporter une touche artistique au dessin. Son succès est immédiat (si bien que les amateurs de ces estampes, très collectionnées dès l’origine, peuvent aujourd’hui en dénicher à partir de 1 500 €… même si le Rhinocéros de l’artiste a atteint le record de 866 500 dollars chez Christie’s en 2013).
La gravure italienne connaît son âge d’or à la Renaissance – avec des estampes de Michel-Ange ou de Raphaël –, tandis qu’en France le maniérisme italien se développe, avec l’école de Fontainebleau : les fresques du château sont immortalisées par des estampes, très prisées aujourd’hui, puisqu’un incendie a détruit une partie du bâtiment. Mais c’est sans doute Rembrandt, au XVIIe siècle, qui porte la gravure à son plus haut degré de perfection en insufflant à ses quelque 300 estampes la vie et l’esprit du dessin, grâce à l’essor de la technique de l’eau-forte – dessin sur cuivre avec morsure à l’acide, qui permet de dessiner simplement sur le vernis. Au XIXe siècle apparaît la lithographie – procédé sur pierre, qui donne un aspect plus vaporeux et poétique au dessin… Et si la photographie fait reculer les estampes liées à la diffusion de connaissances ou d’images populaires, les artistes modernes et contemporains, de Picasso à Zao Wou-Ki en passant par Warhol, continuent d’explorer ce médium grâce à ses nouvelles techniques, comme la linogravure ou la sérigraphie, plus faciles à manier. De quoi se constituer, chez soi, le plus beau des musées…
Unique vestige
Léonard de Vinci, pense-t-on, réalisa une fresque, La Bataille d’Anghiari, dans les environs de Florence. Mais le seul vestige qu’on en conserve est cette estampe, dessinée par Rubens…d’après Léonard de Vinci. Aussi, « son importance dans l’histoire de l’art est-elle capitale ; on n’en connaît que quelques exemplaires, dans des musées », explique le marchand Didier Martinez.
D’après le tableau (perdu à ce jour) de Léonard de Vinci, Les Quatre Cavaliers ou La Bataille d’Anghiari (en Italie), gravé par Gérard Edelinck (Anvers 1640-Paris 1707). Vendue environ 15 000 € en 2014, par la Galerie Didier Martinez.
Le cœur de la gravure
S’il fut aussi un peintre, Claude Mellan est reconnu comme un des plus talentueux graveurs français, et sa Sainte Face du Christ sur le voile de sainte Véronique, gravée d’un trait unique est tenue pour un chef-d’œuvre. « Au cœur du métier de la gravure, cet artiste du XVIIe siècle français travaillait au burin, l’outil le plus difficile qui soit », insiste le galeriste Christian Collin. Ses portraits et scènes ou figures religieuses – comme ici ce saint Joseph – participent au courant portraitiste qui se développa sous Louis XIII et Louis XIV, tout en marquant aussi l’histoire de l’estampe.
Claude Mellan (1598-1688), Saint Joseph, burin, belle épreuve sur vergé filigrané, ancienne collection Luigi Calamatta, avec son cachet sec. Prix : environ 1 000 €, galerie Christian Collin, Paris.
Révolutionnaire
Picasso, passionné par l’estampe, utilise ici le blanc du papier pour faire le sujet – la colombe – et lui conférer ainsi un velouté exceptionnel, et emploie l’encre noire en lavis. Si ses estampes des années 1920 ont longtemps été très prisées, celles des années 1950-1960, plus décoratives,ont désormais le vent en poupe – et leurs prix ont évoluéen 20 ans dans un rapport de 1 à 5. « Avec l’inflation des prixde l’art moderne, mes clients sont moins des gens qui conservent les estampes dans des meubles à tiroirs que des amateurs d’art qui entendent les accrocher dans leurs appartements », analyse Marc Leboud, directeur de la Bouquinerie de l’Institut – galerie majeure d’estampes modernes qui, exceptionnellement, ne sera pas présente au salon cette année.
L’estampe Contemporaine
L’estampe, un outil de diffusion ? Plus seulement, comme en témoigne l’œuvre de Jean-Baptiste Sécheret, lauréat du prix de gravure Mario-Avati en 2013. « Jean-Baptiste Sécheret se passionne pour les possibilités de la pierre, qui permet à la fois de dessiner et de peindre, ou encore de pratiquer des lavis à l’eau ou à l’essence, pour des rendus différents », observe Laurence Lépron, codirectrice de l’atelier de lithographie À Fleur de Pierre, qui a collaboré à cette vue monumentale d’une rue de New York. Quant au prix d’une estampe contemporaine, il est fonction de la renommée de l’artiste et, aussi, du coût de l’impression. Avec une précision : « Les images numériques imprimées ne sont en aucun cas des estampes, même si certains les présentent ainsi », insiste la galeriste Mireille Romand, présidente de la Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau.
Prix : 1 200 €, galerie Documents, Paris.
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Collectionner les estampes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Collectionner les estampes