Par les performances artistiques, l’art n’est plus un objet, mais un geste. Certains, pourtant, les conservent et les collectionnent…
Les 19 et 20 octobre, la Biennale de Lyon consacre un week-end à la performance. Au même moment, du 24 au 27 octobre, le Louvre, en collaboration avec la Fiac, propose quant à lui un programme de performances. Mais la discipline reste marginale en France. « Comme pour une vidéo, il faut accepter de rester un certain temps devant elle : c’est pourquoi il m’a semblé nécessaire de lui donner un cadre », explique Gunnar B. Kvaran, commissaire de la Biennale de Lyon. Ainsi, après l’ouverture d’un département spécialisé au Museum of Modern Arts (MoMA) de New York, l’événement français témoigne-t-il de la montée en puissance de cet art encore en marge du marché. Difficile, en effet, d’exposer, et plus encore d’acheter, une œuvre par essence immatérielle.
Les premiers happenings ont lieu au début des années 1960, dans la lignée du mouvement Dada qui récusait l’idée d’une œuvre figée en mêlant théâtre, musique et arts visuels. Aux États-Unis, Allan Kaprow met en scène une procession funèbre dans les coulisses d’un théâtre. Pourtant, si l’art ne réside bientôt plus pour certains artistes dans l’objet, il en produit. Ainsi, les tableaux les Anthropométries d’Yves Klein constituent en réalité des vestiges de performances. Puis, dans les années 1970, avec l’« art corporel », dérivé de la performance, les artistes mettent en scène leur corps, comme Joseph Beuys ou Chris Burden, qui se fait tirer dessus. De plus en plus, photographies et vidéos donnent à ces œuvres fugaces diffusion et pérennité. Ces témoignages entrent dans des collections publiques et privées.Enfin, dans les années 1990, une nouvelle forme de performance arrive sur le devant de la scène : « Les artistes, souvent, délèguent l’action à des danseurs », observe Pierre Bal-Blanc, spécialiste de la performance et directeur du Centre d’art contemporain de Brétigny-sur-Orge.
Dès lors, la performance se rapproche des arts vivants. On peut ainsi acheter les contrats de travail des acteurs ou des « scores » (des scénarios)… plus ou moins tangibles, puisque Tino Sehgal s’amuse à vendre des prescriptions orales devant notaire – pour une centaine de milliers d’euros, dit-on ! « Les institutions, encore frileuses, risquent de devoir bientôt payer ces œuvres très cher », regrette Pierre Bal-Blanc. À bon entendeur…
Un montage signé Gina Pane
Le 31 mai 1972, chez Jean et Mila Boutan, l’artiste corporelle Gina Pane s’incise légèrement la joue. Sa performance s’intitule Le Lait chaud. Suivant un story-board réalisé en amont par Gina Pane, Françoise Masson, sa photographe attitrée, prend des clichés de l’action. L’artiste utilise ces derniers pour composer des montages dénommés « constats d’action » : elle transforme ainsi ces « constats » documentaires en œuvre indépendante, signée et numérotée. Ou comment transformer une performance en art multimédia.
Des armures de Jan Fabre
Ces armures-costumes conçues par Jan Fabre ont été portées par l’artiste et Marina Abramovic lors de leur performance Virgin-Warrior/Warrior-Virgin au Palais de Tokyo en 2003-2004. Elles ont aussitôt été vendues 60 000 euros chacune. Un prix qui serait fort supérieur aujourd’hui : non seulement la renommée de Jan Fabre s’est accrue (notamment à la suite du scandale provoqué par une chorégraphie de cet artiste polymorphe au Festival d’Avignon et à son exposition au Louvre), mais aussi cette performance a marqué les mémoires : ces « vestiges » sculpturaux ont été exposés depuis dans plusieurs musées, notamment au Louvre.
Un tableau d’Yves Klein
En 1960, Yves Klein, artiste du groupe des « nouveaux réalistes » qui récusent l’idée que l’art se réduit à l’œuvre, demande à des femmes d’enduire leur corps de peinture pour devenir des « pinceaux vivants », sous l’œil du public et des caméras. Si Klein a déclaré que l’art se trouvait « dans l’événement lui-même » et que « le tableau n’est que le témoin, la plaque sensible qui a vu ce qui s’est passé », cette « empreinte » est désormais vendue comme une peinture de l’artiste – et son prix estimé en fonction de sa cote.
Un "score" de Prinz-Gholam
La performance Air a été interprétée par le couple d’artistes allemands Michel Gholam et Wolfgang Prinz en octobre 2009, au Musée des Augustins de Toulouse. Son « score », c’est-à-dire son scénario, a été acquis par le Frac Pays de Loire, pour 20 000 euros. En achetant un « score », on détient les droits de réactiver la pièce, sans les artistes. À titre indicatif, toujours pour ce duo reconnu dans le milieu de la performance, qui interprète des poses codifiées de l’histoire de l’art, une vidéo en six exemplaires se négocie entre 6 000 et 8 000 euros, et une photographie, entre 3 000 et 4 000 euros. On peut également rémunérer les artistes comme des danseurs pour qu’ils performent leur pièce.
Quelle est la place de la performance dans le marché de l’art ?
Elle est minime, car la performance n’est pas liée au marché. Néanmoins, les foires présentent de plus en plus souvent un programme de performances. Elles ont compris que, pour obtenir un succès commercial, il faut aussi qu’elles constituent un événement culturel. Mais il leur reste à comprendre l’économie de cette discipline regardée encore trop souvent comme une animation – par exemple pour un vernissage.
Quelle est cette économie justement ?
Elle tient à la fois du spectacle vivant et d’un marché lié aux objets. Ainsi, lorsque des artistes interprètent leurs performances pour des foires ou des musées, on les paie comme des danseurs. Mais on peut également acheter un scénario – qui permet à d’autres de réaliser la performance en l’absence de l’artiste, comme lorsqu’on cède des droits : c’est ce que je valorise le plus. Ou encore, acquérir des vidéos ou des photographies numérotées.
Quel est le profil des collectionneurs ?
Ce sont souvent des amateurs d’art conceptuel, qui ont intégré la dématérialisation de l’œuvre d’art. Mais ils sont encore peu nombreux.
Biennale de Lyon, les 19 et 20 octobre, www.biennaledelyon.com
Galerie Jocelyn Wolff, exposition Prinz-Gholam, du 9 novembre au 21 décembre 2013. 78, rue Julien-Lacroix, Paris 20e, www.galeriewolff.com
Centre d’art contemporain (Cac) de Brétigny-sur-Orge (91), Espace Jules Verne, rue Henri-Douard, www.cacbretigny.com
Au Louvre, parallèlement à la Fiac, du 24 au 27 octobre, www.louvre.fr
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Collectionner la performance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Collectionner la performance