Collectionner Bernard Buffet

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 18 octobre 2016 - 1091 mots

Si les œuvres de l’artiste semblent boudées par la critique et les institutions françaises, elles restent très appréciées par les collectionneurs du monde entier.

Plus d’un million d’euros. C’est le prix qu’a atteint une peinture à l’huile sur toile représentant deux clowns musiciens, le 22 juin 2016 chez Christie’s, à Londres. Étrangement, en 1991, date à laquelle Bernard Buffet a composé cette peinture, aucun musée français ne l’exposait plus depuis des décennies, jusqu’aux initiatives, ce mois-ci, des musées d’art moderne de la Ville de Paris et de Montmartre. Mais les collectionneurs, eux, l’ont toujours aimé et recherché. « Sa cote a toujours progressé de façon régulière, de son vivant puis après sa mort », observe Céline Lévy, directrice de la Galerie Maurice Garnier, entièrement consacrée à l’artiste.

Dès 1948, à l’âge de 20 ans, Bernard Buffet, qui incarne après-guerre le renouveau de la peinture, est représenté par deux galeries : la Galerie Drouant-David, pour les peintures à l’huile, et la Galerie Visconti, tenue par Maurice Garnier, pour les œuvres sur papier et les petits formats. En 1956, à la demande de Bernard Buffet, Emmanuel David et Maurice Garnier s’associent. En 1968, Maurice Garnier prend seul la direction de la galerie, située aujourd’hui encore 6, avenue Matignon. En 1977, ce dernier décide de se consacrer uniquement à l’œuvre de Bernard Buffet. Un cas unique. En 2009, le marchand de tableaux crée avec son épouse Ida un fonds de dotation de trois cents peintures à l’huile, dans le but d’ouvrir un jour un musée en France. De fait, si les institutions ont boudé Buffet à partir de la fin des années 1950, « il est sans doute l’un des peintres les plus plébiscités par le public ; nous avons des demandes pour ses œuvres en permanence », souligne le galeriste Michel Estades. En 1973, un collectionneur japonais passionné va jusqu’à ouvrir un musée consacré à l’œuvre de l’artiste français dans son pays. En 1989, au Japon, il arrive pendant une vente aux enchères proposant une huile de Bernard Buffet que toutes les personnes présentes dans la salle lèvent la main ! « Aujourd’hui encore, le marché asiatique reste très actif », oberve Michel Estades.
Depuis la mort de Buffet, en 1999, les œuvres sur le marché se sont raréfiées. « Depuis cinq ans, on observe dans les ventes publiques une dynamisation de sa cote », constate Bruno Jaubert, directeur associé chez Artcurial. Ses œuvres se vendent dans le monde entier, dépassant souvent les estimations. Les invendus sont rares. Même dans les petites maisons de ventes. Un exemple ? À Lyon, un bouquet de petit format proposé par la maison de ventes Conan Hôtel d’Ainay, estimé entre 20 000 et 25 000 euros, a été vendu pas moins de 34 500 euros en avril 2016.

Expertises

Un clown à Hong Kong
Le Cri de Munch repris par un clown de Buffet… Ce tableau de 1970, estimé entre 150 000 et 200 000 euros, s’est vendu à Hong Kong en 2015 plus de 350 000 euros à un acheteur asiatique. « Le marché de Bernard Buffet reste très actif en Asie, mais il est aussi européen et américain », observe Bruno Jaubert. Même si, la cote du peintre ne cessant de croître, les Français ont désormais un peu de mal à suivre. « Aujourd’hui, en salle des ventes, les tableaux des années 1970 et 1980, plus virulents, plus expressionnistes en termes de couleurs, sont plus recherchés que ceux des années 1950 », observe l’expert.

Une lithographie originale
Numérotée et signée par l’artiste, cette lithographie, comme toutes celles proposées par la Galerie Maurice Garnier, a été tirée du vivant de l’artiste. « Il n’y a jamais de retirage. Les plaques ont été rayées », précise Céline Lévy, directrice de la galerie. Les prix des lithographies, tirées généralement entre 120 et 150 exemplaires, sont fonction du sujet, de la rareté et de l’ancienneté. Les gravures à la pointe-sèche, technique plus difficile, sont quant à elles éditées généralement à 60 exemplaires. Cette lithographie réalisée en 1991, une nature morte avec jeu de carte – un sujet agréable, très prisé – est typique de Bernard Buffet : perspective plate, composition géométrique, traits noirs, couleurs vives et chatoyantes.

Un bouquet tardif
Après les clowns et les vues de Paris ou de New York, les bouquets comptent parmi les sujets les plus recherchés de Bernard Buffet, qui en a peint tout au long de sa vie. En 2012, un bouquet de dahlias dans un vase avait atteint chez Christie’s à Londres près de 300 000 euros. Les couleurs vives de ces tournesols, caractéristiques des années 1980/1990, sont aujourd’hui particulièrement prisées.

Un dessin au crayon
Les dessins au crayon de Bernard Buffet sont rares.Le peintre peignait en effet ses huiles sans esquisse, en dessinant au fusain sur la toile, avant d’apposer les couleurs et de les cerner de noir. Ce dessin de son épouse Annabel, sa muse de 1958 jusqu’à sa mort, a été estimé chez Artcurial en 2015 entre 8 000 et 10 000 euros. Il s’est vendu 23 400 euros. À Drouot, en juin 2016, un dessin de deux femmes nues estimé entre 6 000 et 8 000 euros a obtenu un prix marteau de 23 500 euros. Un dessin à l’aquarelle et à l’encre de Chine représentant une vue de Venise a quant à lui obtenu une enchère de près de 120 000 euros, pour une estimation haute d’à peine plus de 55 000 euros, en Israël en 2015.

Question à Céline Lévy Directrice de la Galerie Maurice Garnier

Quel est le rôle de la Galerie Maurice Garnier aujourd’hui ?
Maurice Garnier avait décidé de se consacrer entièrement à l’œuvre de Bernard Buffet. Nous continuons à le faire. Nous avons conservé toutes les archives depuis 1948, qui nous permettent d’authentifier les tableaux. Les faux sont nombreux, depuis le début ! Nous avons ainsi un rôle d’expertise, de protection et de promotion de l’œuvre de Buffet.

Quelles sont les toiles les plus prisées ?
Des sujets comme les clowns, les toreros, les vues de Paris, Venise et New York sont fréquemment demandés. Les collectionneurs recherchent également des toiles dites plus difficiles, comme un écorché, une mort, des natures mortes ou des paysages.

Qu’est-ce qui fait le prix d’une toile ?
Pendant longtemps, les prix tenaient essentiellement à la dimension de l’œuvre. Depuis la mort de Bernard Buffet, chaque tableau a son prix, en fonction de son sujet, sa rareté, sa dimension, son année… Aujourd’hui, on trouve peu de tableaux à moins de 100 000 euros. Propos recueillis par Marie Zawisza

Galerie Maurice Garnier, 6, avenue Matignon, Paris-8e, www.museebernardbuffet.com/garnier.html

Galerie Michel Estades, exposition Bernard Buffet jusqu’au 27 novembre 2016, 17, place des Vosges, Paris-4e, www.estades.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°695 du 1 novembre 2016, avec le titre suivant : Collectionner Bernard Buffet

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