Le commissaire-priseur et collectionneur de châteaux tient le marteau depuis maintenant cinq décennies. Il reste à la tête d’une équipe de 50 personnes.
Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Parti de rien, c’est à force de travail et grâce à sa « bonne étoile », dit-il, que Claude Aguttes, souvent jalousé, a réussi à se hisser entre 2017 et 2021 à la 4e place des plus grandes maisons de ventes aux enchères françaises. En 2022, sa maison dépassait même les 85 millions d’euros en volume de ventes. Pour celui qui n’était pas du sérail et venait de province, l’aventure n’était pas gagnée d’avance, mais « j’ai toujours eu la passion des objets et j’ai aussi eu de nombreux coups de chance », glisse le septuagénaire plein d’allant et toujours souriant. « Ce que j’aime dans mon métier, c’est partir à la billebaude ! »
Claude Aguttes naît à Bourges (Cher) en 1948, en face de la cathédrale – « j’ai plaisir à penser que c’est elle que j’ai vue en premier en sortant de la maternité et que cela a un lien avec ma passion pour la période médiévale ! »À 14 ans, il perd son père. Resté seul avec sa mère et sa sœur, il ne travaille pas vraiment à l’école, qu’il quitte en classe de première, avec juste le BEPC en poche – il obtiendra plus tard une capacité en droit. « Ma mère allait à toutes les vacations de la salle des ventes de Bourges. J’y allais aussi et je passais ma vie chez les antiquaires. »À 20 ans, il rencontre sa future femme et doit trouver un métier à tout prix. Ce sera « saute-ruisseau » [jeune clerc] chez maître Bichon, huissier de justice à Neuilly-sur-Seine. Deux ans plus tard, il atterrit chez le commissaire-priseur Albert Le Blanc. « Une année de rêve, même si on travaillait beaucoup. » Un an après, il intègre l’étude Ader et passe l’examen de commissaire-priseur en 1972. « Tous ceux qui l’ont passé avec moi ont pu s’installer. Maintenant, qui s’installe ? Pour les épreuves, c’était soit les ensembles décoratifs du XVIIe siècle, soit les faïences du sud-est de la France. Je ne me souviens plus de ce que j’ai pris. Aujourd’hui, je prendrais les deux. Au total on a été 32 reçus. J’ai eu 33 sur 50, soit 14,5 avec une mention “bien”. Pas mal pour quelqu’un qui n’a pas le bac ! » Alors il a fallu acheter une charge. Pas question de venir à Paris où cela était trop cher pour lui. Ce sera Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), en association avec Guy Laurent. En attendant sa nomination, le 23 janvier 1974, marié (à 22 ans) et déjà père – il a aujourd’hui en tout six enfants et trente et un petits-enfants –, il réalise des inventaires d’assurances pour le groupe Galtier. La première vente arrive en mars 1974. « Un coup de chance avec une collection de boîtes en or dont une de Stiehl (Christian Gottlieb) avec des plaques de marbre de toutes les couleurs, qui aujourd’hui vaudrait peut-être 100 000 à 150 000 euros. » Le commissaire-priseur innove, remplace les plaquettes commerciales par des catalogues et réalise à côté des ventes courantes deux ventes cataloguées par semestre.
À partir de 1980, Claude Aguttes poursuit sa route seul, sans son associé, et déniche quelques beaux lots (un Gustave Moreau, un monotype de Gauguin…). Puis arrive la découverte de sa vie : l’Autoportrait aux bésicles (1771), de Jean-Baptiste Siméon Chardin. Encore un coup de chance, survenu en plein mois d’août. « L’étude était fermée mais j’allais quand même relever le courrier. Quelqu’un a frappé à la porte, a insisté et m’a dit : on a un autoportrait de Chardin. Dans ma tête, je me suis dit, oui et moi je suis Marie-Antoinette. À l’arrière, il y avait une étiquette. » Il fonce chez lui et consulte le catalogue raisonné Wildenstein sur Chardin. Bingo !, celui-ci indique qu’il existerait une copie du tableau appartenant au Louvre, réalisée pour sa collaboratrice, le nom sur l’étiquette. « J’ai toujours voulu vérifier car je n’ai pas confiance en mes connaissances. Là, ça m’a servi ! » L’œuvre, aujourd’hui au Musée des beaux-arts d’Orléans, a fait l’équivalent de 1 million d’euros en avril 1986.
Les belles affaires se sont poursuivies, entre une collection d’une centaine de meubles estampillés « Hache à Grenoble » et une table de Carlin conservée dans un château du Dauphiné depuis deux cents ans. Et un deuxième Chardin (Nature morte au gigot) ! Rare, pour un seul homme. Mais le marteau commence à s’épuiser : trop de travail, trop de kilomètres à parcourir. « Pour réussir dans ce métier, il ne faut pas éteindre son téléphone à 18 heures. » Lui vient alors l’idée de créer un groupement d’une quinzaine de commissaires-priseurs installés dans de grandes villes de France. Ce sera Gersaint, qui organise des ventes à Strasbourg de 1987 à 1995. « Cela permettait d’avoir une présence nationale tout en restant très attaché à son coin. » Deux sessions de ventes de tableaux anciens et d’art 1900 étaient orchestrées chaque année, mais le vol d’un camion rempli de vases Gallé entraîne la dissolution du groupe – sans compter les nombreux procès intentés au groupe Gersaint par des commissaires-priseurs estimant que le groupe ne pouvait détenir un bureau de représentation à Paris (le monopole des commissaires-priseurs n’avait alors pas encore été supprimé).
Au début des années 1990, Claude Aguttes sent le vent tourner : « J’ai commencé à être mis en concurrence avec mes confrères de Paris alors je me suis dit qu’il fallait partir. » Il rachète l’étude de Me Gabrielle Ionesco à Neuilly-sur-Seine (qui fait partie de Drouot), avec expositions le lundi et vacations le mardi. Les vacations Haute Époque – sa passion – avec Bruno Perrier font son bonheur et, en 2007, la vente de la toile Blue Star (1927) de Joan Miró (11,6 M€) lui permet de racheter la société de ventes de Jean-Claude Anaf à Lyon. C’est surtout, pour cet amoureux des vieilles pierres, l’occasion d’en acquérir les murs : la gare des Brotteaux à Lyon (1909), classée monument historique. Aujourd’hui il ne reste plus qu’un bureau à Lyon car les ventes n’y marchaient pas, et l’espace est loué à un restaurant.
À partir des années 2000 donc, les succès s’enchaînent : la collection Kenzo et La Mamounia à Marrakech en 2009, la collection Christine et Thierry de Chirée (2011) ; les déconvenues aussi : juste avant la dispersion de la collection du président Giscard d’Estaing au château de Varvasse (2012), la société Aguttes est suspendue d’activité pour deux mois pour négligence. Claude Aguttes est alors président du conseil de surveillance de Drouot (2011-2015). La sanction est ramenée à quinze jours en appel. « Ça a été le moment le plus difficile de ma carrière. J’ai dû fermer alors que j’avais une équipe de 40 personnes. Je n’ai pas toujours été apprécié dans le milieu à cause de ma réussite. Et venir de province pour faire ses ventes à Drouot, ce n’était pas très bien vu. »
En 2016, c’est l’aventure Aristophil qui commence. « J’y suis allé tout seul car tout le monde a eu peur, il fallait investir. » Les ventes ont lieu de 2017 à 2023 et rapportent 110 millions d’euros. « Si c’était à refaire, je redémarre aujourd’hui ! Même si je sais que je suis invivable parce que je ne suis pas ordonné (mais je ne perds rien), je voudrais bien être le dernier des Mohicans ! » Pour l’heure, tout en conservant son poste de président de l’étude, afin de gérer les dossiers « un peu compliqués », il se concentre sur la restauration du château-fort de la Prune-au-Pot (Indre) – il possède quatre monuments historiques (dont le château de Tournoël, dans le Puy-de-Dôme). « En tout cas, je suis fier que ma boîte continue avec mes enfants Charlotte, Philippine et Maximilien. »
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Claude Aguttes 50 ans de carrière
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Claude Aguttes 50 ans de carrière