C’est un secret de polichinelle. Certains ayants droit d’artistes ont parfois joué un jeu trouble avec des faussaires fermant les yeux sur leurs contrefaçons, voire en leur fournissant complaisamment des certificats d’authenticité, le sésame qui ouvre de précieuses portes dans le monde de l’art.
Mais jamais, du moins à ce que l’on sache, un descendant n’avait échafaudé une imposture semblable à celle imaginée par Jean-Charles Millet. Le petit-fils de Jean-François Millet, le peintre du célèbre Angélus, a en effet monté dans les années folles une arnaque de haut vol. Artiste sans grande envergure, Jean-Charles réalise quelques œuvres dans l’esprit de son grand-père à destination des touristes venant en pèlerinage à Barbizon. Mais cette activité n’est pas très lucrative, et le peintre voudrait mener grand train. Pour faire entrer un peu d’argent, il se sépare de quelques dessins hérités de son grand-père. Mais cette manne s’épuise hélas bien vite. Coup de chance, il trouve dans les reliques familiales le tampon floqué du prestigieux monogramme JFM servant à authentifier les œuvres. La tentation est alors trop forte de faire passer ses propres dessins pour d’authentiques feuilles de son aïeul. Jean-Charles franchit le pas et entre dans la délinquance. Ses esquisses prennent alors miraculeusement une valeur inespérée. Son premier marchand n’y voit que du feu, mais l’afflux de tous ces dessins étrangement demeurés inédits suscite rapidement une certaine méfiance. L’usurpateur diversifie alors les acheteurs et imagine une autre stratégie plus ambitieuse encore en falsifiant des tableaux. Mais l’artiste voit rapidement ses limites et comprend qu’il doit dénicher un complice. Il le trouve en la personne de Paul Cazot, peintre en bâtiment mais formé à la copie lors de son apprentissage aux Beaux-Arts. Il s’adjoint aussi les services d’un expert fictif, un prête-nom qui n’a en réalité aucune compétence en la matière. Cette équipée improbable fonctionne au-delà de ses espérances. Cazot, très bon technicien, s’avère doué pour imiter le style de Millet et imaginer des compositions vraisemblables. Pendant sept ans, cet attelage baroque va ainsi duper galeristes et musées et écouler de nombreux tableaux chez des marchands avides de dégoter des toiles d’un artiste qui a alors le vent en poupe. Leur aventure va s’arrêter net et conduire les escrocs devant le tribunal puis au fond d’une cellule. Au début des années 1930, ce scandale fait les gros titres et tient le monde de l’art en haleine. Cet épisode rocambolesque était pourtant tombé dans l’oubli et c’est presque par hasard qu’Éric Halphen l’a découvert en guignant un dessin de Millet proposé aux enchères sur un célèbre site en ligne.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Chez Millet, un faussaire sans foi ni loi
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Chez Millet, un faussaire sans foi ni loi