Cheska Vallois et son mari Robert font partie de ces antiquaires-défricheurs qui ont redécouvert, dans les années 1970, les meubles et objets Art déco, alors complètement tombés dans l’oubli. Elle a contribué, dans ces années-là, à sauver nombre de pièces de mobilier d’Eileen Gray, créatrice actuellement à l’honneur au Centre Pompidou.
Eric Tariant : Quel souvenir conservez-vous d’Eileen Gray ?
Cheska Vallois : Je l’ai rencontrée, au tout début des années 1970, quand j’étais une très jeune antiquaire. Elle était alors complètement inconnue. Ce n’est qu’en 1972, lors de la vente Doucet, qu’Eileen Gray a été révélée. Je suis venue, pendant de longs mois, prendre le thé avec elle, une fois par semaine à son domicile de la rue Bonaparte. C’était une femme délicieuse et enthousiaste.
Qu’est ce qui vous séduisait alors particulièrement dans son œuvre ?
Son originalité absolue. Ses créations ne ressemblaient à rien de ce que l’on connaissait alors. J’ai eu la chance de découvrir auprès de cette femme géniale toute son œuvre, grâce notamment à ses archives photographiques.
Que valait un meuble d’Eileen Gray dans les années 1970 ?
Je me souviens avoir acheté, au début des années 1970, le Fauteuil aux serpents pour 12 000 francs (1 830 euros environ). Ces créations avaient été complètement oubliées. Il n’y avait alors aucun marché pour l’Art déco. Un meuble de Ruhlmann ne dépassait pas les 1 000 francs. Nous avons accompli un véritable travail de fourmi en montrant ces meubles, pendant quarante ans, et réalisé un travail pédagogique auprès du public pour montrer combien la production de ces créateurs était importante.
Quels rapports entretenez-vous avec les musées ? Les liens sont-ils plus aisés et plus confiants qu’il y a trente ans ?
Quand j’ai débuté dans le métier et pendant des décennies, il n’y avait, en France, aucune relation entre marchands et conservateurs de musées. La situation était très différente aux Etats-Unis, où il n’était pas rare que des musées américains montent de grandes expositions avec des marchands. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Nous entretenons des relations régulières avec certains musées qui nous sollicitent fréquemment.
Comment se porte le marché de l’Art déco en ce début d’année 2013 ?
En ce qui nous concerne, nous travaillons bien. Le marché demeure très fort pour les pièces importantes qui se négocient en majorité auprès de la clientèle américaine qui y prête un grand intérêt..
Les collectionneurs des nouveaux pays industriels, chinois et russes notamment, sont-ils présents sur ce marché ?
Le marché est en train de frémir dans ces pays. Ces collectionneurs vont devenir de plus en plus actifs dans les prochaines années. Les Chinois, tout particulièrement, se montrent de plus en plus intéressés et curieux. Certains se déplacent à Paris avec leur décorateur ou leur architecte.
Pourquoi avez-vous ouvert une galerie à New York sur Madison Avenue à la fin des années 1990 ?
Afin d’entretenir un lien plus étroit avec les décorateurs américains, et de pouvoir plus facilement leur présenter des meubles, à leur demande. Il nous fallait aussi aller au-devant de nos clients américains, qui sont nombreux à ne jamais mettre les pieds dans notre galerie parisienne.
Souffrez-vous d’une raréfaction de la marchandise ?
Oui, depuis de nombreuses années. L’ancienneté de notre galerie et la richesse de nos archives nous permettent néanmoins de racheter auprès d’anciens clients des meubles que nous avions cédés il y a trente ans. La France demeure le plus bel endroit au monde pour trouver de beaux objets Art déco.
Vous exposez dans très peu de salons d’antiquaires ? Pourquoi ?
Parce que je préfère que nos clients viennent nous voir à la galerie.
Le métier d’antiquaire a-t-il beaucoup évolué depuis trente à quarante ans ?
Il a complètement changé tout comme le goût des collectionneurs. Aujourd’hui, ceux-ci disposent d’une abondante documentation sur les meubles et objets d’art. Ce qui n’était pas le cas alors. Il y a quarante ans, Drouot était un lieu de travail et de ravitaillement essentiel pour les marchands. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Les maisons de ventes publiques constituent-elles des concurrents sérieux pour les antiquaires ?
Les maisons de ventes nous permettent parfois de confirmer les prix que nous pratiquons en galerie. Ce qui est une bonne chose. Très actives et puissantes, elles sont aussi de véritables rouleaux compresseurs qui cherchent à acquérir une position dominante sur le marché. Nous sommes en permanence confrontées à elles.
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Cheska Vallois : « Les maisons de ventes sont des rouleaux compresseurs »
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Abonnez-vous dès 1 €Cheska Vallois - © Photo Arnaud Carpentier.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Cheska Vallois : « Les maisons de ventes sont des rouleaux compresseurs »