Pour séduire une plus large clientèle, les maisons de vente tendent à organiser des expositions d’intérêt dans des scénographies soignées.
Il est des lieux où les œuvres s’exposent dans les grandes largeurs, presque comme dans des musées, avec cartels explicatifs et catalogues dignes d’intérêt : les maisons de vente aux enchères. Les Anglo-Saxons Christie’s et Sotheby’s sont rompus à ce genre d’événement, qu’ils utilisent pour « ouvrir » un nouveau marché (Dubaï, Hongkong) ou pour « entretenir » celui-ci : on l’a vu à Paris avec l’exposition « Tapiès » chez Christie’s en 2012 et avec la présentation organisée en février dernier par Sotheby’s et Hubert de Givenchy, dans un salon de la Fondation Mona Bismarck, montrant un portrait de la mécène éponyme peint par Dalí, vendu aux enchères peu après à Londres.
Ces auctioneers ne sont pas les seuls : Artcurial est aussi passé maître dans l’organisation d’expositions, grâce à la position enviable de son hôtel particulier au bas des Champs-Élysées, de même que Mac-Arthur Kohn ou Cornette de Saint Cyr qui se livrent volontiers à des mises en scène d’œuvres dans des endroits prestigieux comme les salons des hôtels Bristol ou Salomon de Rothschild.
Des atouts marketing
Pourquoi ces marchands jouent-ils donc les commissaires d’exposition ? « C’est une tendance de fond, un prolongement de notre métier », note Francis Briest, vice-président d’Artcurial. « Nous avons pris à nos côtés un conseiller culturel, l’ancien patron du musée d’Orsay, Serge Lemoine. Cela nous apporte de la crédibilité auprès des clients, cela met aussi du liant dans les relations avec les musées. Les galeries sont là pour révéler des talents, les maisons de vente sont des relais pour servir la cause des œuvres. » Plus large est la palette de services offerts par une maison de vente, plus large est sa clientèle, estime le commissaire-priseur. « En outre, aujourd’hui, on ne peut plus vendre des œuvres de qualité sans cet habillage. Le niveau des prix est tel que les œuvres d’art doivent être présentées dans des écrins, accompagnées de conférences, de visites guidées, comme dans les musées. »
Pas question pour autant de rivaliser, juste de s’arroger quelques attributs vecteurs d’image. « On ne peut comparer, les musées sont plus scientifiques que nous. Mais je constate qu’ils deviennent à leur tour plus axés sur le marketing pour faire des entrées. Le monde muséal et les acteurs du marché ont évolué dans une même direction », constate Francis Briest. « Capitaliser sur des expositions, peaufiner les catalogues, apporter des analyses d’experts, tout cela génère de la confiance, donne l’occasion de rencontrer des collectionneurs différents qui peut-être un jour achèteront chez nous ou nous donneront des œuvres à vendre, mais nous ne sommes pas dans une logique de concurrence avec les musées ! », poursuit Aline Sylla-Walbaum, directrice générale de Christie’s France, la maison de vente qui a probablement organisé la scénographie la plus sophistiquée, l’exposition de la collection Bergé-Saint Laurent qui avait généré des files d’attente interminables devant le Grand Palais.
Nouvel espace de 700 m2 installé dans un bâtiment ancien de la rive gauche, nouvelle identité graphique, nouveaux catalogues mêlant reportages et préfaces signées – par la designer Nanda Vigo pour le catalogue de la vente Annibale Oste –, conférences dispensées par des historiens du design telle Anne Bony : « Nous sommes dans un monde qui change, nous devons changer avec lui », analyse Frédéric Chambre, qui a pris en charge le développement et la stratégie de Piasa.
Des galeristes partagés
La concurrence est probablement plus redoutable pour les galeries, même si les multinationales de l’art s’en défendent. « Les galeries bénéficient de la visibilité et de la médiatisation générée par les maisons de vente. À Hongkong, les expositions des galeries se calquent souvent sur le calendrier des ventes aux enchères », souligne le président de Christie’s Asie, François Curiel. Même constat pour Aline Sylla-Walbaum : « Les galeries font un travail de haute couture, elles immobilisent du capital, portent un stock, pour défendre dix à quinze artistes qu’elles vont essayer de placer dans des musées avant de les vendre à des particuliers. Les maisons de vente peuvent en revanche constituer des phares, des indicateurs de tendances pour elles. »
Nathalie Obadia, à la tête de la galerie du même nom, considère effectivement qu’une scène artistique forme un tout. « Plus les expositions sont intéressantes, plus les œuvres se vendent bien sur le second marché, et plus cela profite aux galeries du premier marché », souligne-t-elle. « Il ne faut pas considérer les maisons de vente comme des ennemies, elles ont fait en sorte que l’art soit à la mode ; même si cela peut être pour de mauvaises raisons, nous en profitons », confirme le galeriste Jérôme Poggi. D’ailleurs, les marchands prêtent souvent des œuvres aux maisons de vente pour organiser leurs expositions, comme cela fut le cas pour « Tapiès ».
Une collaboration que réprouve toutefois Georges-Philippe Valois, le président du Comité des galeries d’art. « Les galeries qui participent aux expositions des maisons de vente scient la branche sur laquelle elles sont assises. Elles détiennent l’expertise, la sélection la plus pointue : si elles donnent leurs atouts à ces maisons, elles les renforcent. »
Quel est en effet l’impact des expositions sur les adjudications ? P.-d.g. de Sotheby’s France et vice-président Europe, Guillaume Cerutti note que, même si les expositions des maisons de vente sont faites très subtilement, elles n’engendrent pas un effet mécanique sur les prix obtenus aux enchères. « Elles sont plus destinées à créer un environnement propice, qui fait sens pour le client, le met à l’aise, suscite son empathie, lui montre que nous ne sommes pas simplement des machines commerciales. »
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Des musées ? Non, des Maisons de vente
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°657 du 1 mai 2013, avec le titre suivant : Des musées ? Non, des Maisons de vente