Le monde de l’art contemporain répartit généralement ses acteurs (artistes, galeries et foires) en deux tribus : les branchées et les autres. Fondée sur un cocktail volatil de buzz [marketing du bouche-à-oreille] et d’esprit festif, la branchitude ne peut s’injecter en intraveineuse. La foire londonienne d’art contemporain Frieze Art Fair est ainsi branchée alors que la FIAC, à Paris, ne l’est pas, malgré une communication axée sur la présence dans ses allées de stars comme Jane Fonda ! Le salon parisien aurait pourtant plus intérêt à jouer sur la corde bien française du luxe que sur celle anglo-saxonne du people.
S’il est difficile de transformer une manifestation tiède en événement à la mode, il faut parfois peu de chose pour qu’un artiste outsider devienne branché. Les collectionneurs « tendance » frappent rarement à la porte du galeriste parisien Bernard Vidal. En revanche, ils se pressent à celle de la Berlinoise Contemporary Fine Art (CFA). Tous deux représentent pourtant un même artiste, Norbert Schwontkowski, peintre allemand d’origine polonaise né en 1949. Le premier s’évertue depuis quelques années à l’imposer, parfois péniblement. La seconde, qui ne l’a intégré que depuis peu dans son écurie, en a déjà fait ses choux gras. En mars, CFA a vendu dix de ses tableaux à l’Armory Show à New York. Rebelote en septembre sur la foire Art Forum à Berlin. Pourquoi cet art est-il un jour désuet et l’autre « tendance » ? Simplement parce que certaines enseignes ont le don « marketing » de les rendre désirables. Mais pour que la mayonnaise prenne, il faut qu’un collectionneur prescripteur y aille aussi de son grain de sel. Et c’est chose faite en l’occurrence avec les collectionneurs américains Don et Mera Rubell, qui lui consacrent une exposition dans leur musée privé au moment de la foire Art Basel Miami Beach en décembre.
Ces glissements de perception s’observent aussi chez de plus jeunes artistes. La galeriste bruxelloise Catherine Bastide rappelle l’échec qu’elle avait essuyé en présentant en 2003 les peintures du New-Yorkais Josh Smith dans un conteneur d’Art Basel Miami Beach. Depuis, la donne a changé. Pour preuve, la razzia sur cet artiste en octobre sur Frieze ! Une frénésie qu’accélérera sans doute sa présence dans l’exposition « Uncertain States of America » organisée par Hans Ulrich Obrist au Musée d’art moderne Astrup Fearnley à Oslo (1).
Public de marbre à la FIAC
La branchitude reste une donnée très géographique. Ce qui est à la mode aux États-Unis ne l’est pas forcément en France. Deux exemples glanés sur la FIAC en octobre en attestent. La galerie Olivier Kamm, l’une des plus branchées de Chelsea (New York), proposait treize petits tableaux (1 800 euros chacun) de Richard Aldrich, artiste plébiscité outre-Atlantique et à l’affiche de l’exposition « Greater New York » à PS1, qui s’est achevée en septembre. Lors de la foire off NADA à Miami en décembre 2004, la galerie avait cédé vingt de ses tableaux en moins d’une demi-heure. Le public de la FIAC, lui, est resté de marbre ! Idem pour Karl Haendel, présenté par la galerie Anna Helwing (Los Angeles) et à l’affiche de l’exposition « Uncertain States of America ». Lointains cousins des feuilles mescaliniennes d’Henri Michaux, ses dessins se vendent habituellement comme des petits pains. Du couple new-yorkais Susan et Michael Hort à l’Allemand Friedrich Christian Flick, les gros collectionneurs se les sont déjà appropriés. Le public parisien ne lui a prêté qu’un regard distrait. Cette tiédeur est-elle imputable à une mauvaise circulation de l’information en France ? ou à un sens critique plus développé ? Sans doute un peu des deux, mon capitaine.
(1) 8 octobre-11 décembre.
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Branchitude, une notion bien volatile
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Branchitude, une notion bien volatile