ÉTATS-UNIS
Salles d’exposition virtuelles, événements périphériques : les grandes foires américaines tentent de faire évoluer le modèle traditionnel en y associant une réflexion sur la société.
New York. « C’est un peu Art Basel à la plage, en plus festif », s’amuse un collectionneur. Dans le décor prestigieux de l’ancien Parrish Art Museum de Southampton (New York), food trucks, concert de musique classique, cocktails et chaises longues donnent à la Hamptons Fine Art Fair des faux airs de garden-party. En ce premier week-end de septembre, près de 5 000 visiteurs se pressent dans les allées de cette foire d’un genre nouveau. Au cœur des Hamptons, région de villégiature balnéaire prisée par l’élite new-yorkaise, avec seulement 50 galeries sur place et 20 autres dans l’exposition virtuelle, elle veut proposer une expérience différente des grands rendez-vous habituels. « C’est le lieu parfait et la taille idéale pour voir les œuvres et les comprendre, pour permettre aux visiteurs d’avoir des discussions intéressantes avec les exposants, le tout dans un cadre élégant et détendu », explique Rick Friedman, son fondateur. Le succès est au rendez-vous : la sculpture Legs (1994) de Larry Rivers s’envole pour 100 000 dollars (86 500 €) au cours du premier quart d’heure ; à la fin de l’événement, plusieurs transactions ont dépassé le million de dollars (865 000 €).
Faire venir les œuvres là où vivent les collectionneurs, créer un environnement propice aux conversations, soigner l’expérience des visiteurs et des exposants : tels sont les nouveaux défis des foires d’art, éprouvées par une année de crises sans précédent qui a questionné la pertinence de leur modèle. Pour beaucoup de galeristes, Frieze New York, l’Armory Show ou encore Art Basel Miami Beach sont devenues trop chères, trop grandes, trop difficilement accessibles dans un marché en pleine mutation qui a vu ses ventes reculer de 20 % en un an. En août dernier, Dominique Lévy, Brett Gorvy, Amalia Dayan et Jeanne Greenberg Rohatyn, quatre marchands de premier plan, annonçaient fusionner leurs galeries au sein d’un consortium intitulé « LGDR », pour soutenir la concurrence face aux géants du secteur. Ils annonçaient en même temps ne plus participer qu’aux seules foires se tenant en Asie, lesquelles « demeurent une porte d’entrée importante vers un marché plus large de jeunes collectionneurs ». Comprendre : les grandes foires américaines et européennes, elles, fonctionnent en vase clos.
« Les foires, c’est très intéressant, mais on sait maintenant qu’elles ne peuvent plus résumer l’accès à l’art », confirme le galeriste new-yorkais Richard Taittinger. Pour tenter d’atteindre de nouveaux publics et conserver leur dimension mondiale malgré les restrictions sanitaires, les foires ont désormais toutes souscrit au format hybride grâce aux salles d’exposition virtuelles. Jessica Silverman, galeriste à San Francisco, en est convaincue, ces dernières sont là pour rester : « Les clients sont de plus en plus à l’aise avec l’idée d’acheter des œuvres à partir de reproductions numériques. Il y a des salles en 3D pour comprendre l’échelle et des images en haute résolution pour rendre la texture. » Pour autant, difficile d’imaginer que les expositions virtuelles puissent enterrer les grands rendez-vous physiques, du moins dans l’immédiat, ou qu’elles puissent répondre à elles seules au besoin de renouvellement.
Jessica Silverman, qui a participé à l’Armory Show et sera présente à Art Basel Miami Beach, reconnaît aux foires une vertu essentielle : « elles sont encore le meilleur endroit pour saisir l’esprit du temps dans le monde de l’art », ceci à travers les discussions, les rencontres et, de plus en plus, leur très riche programmation culturelle. C’est sur cette fonction première qu’elles misent aujourd’hui pour faire évoluer leur modèle. « Le Covid nous a donné l’occasion d’innover et de réévaluer nos priorités », explique Nicole Berry, directrice de l’Armory Show. La foire s’est dotée cette année d’un programme hors les murs pour aller à la rencontre du grand public et « susciter le dialogue », en exposant des œuvres de Johnny DeFeo, Aaron Zulpo, Katja Larsson ou encore Josh Callaghan dans les parcs et les rues de New York.
Au printemps dernier, Frieze avait choisi de mettre l’accent sur les questions de justice sociale, dans une Amérique encore secouée par la mort de George Floyd en mai 2020. Cet engagement politique s’était traduit par un hommage rendu au Vision & Justice Project, un groupe de réflexion sur le rôle de l’art dans la lutte antiraciste : Frieze avait demandé à 50 galeries et institutions participantes de répondre à l’engagement du groupe par des accrochages ou des interventions, tout en organisant une série de conférences et de projections en ligne. « L’idée était de transformer la foire en plateforme pour mettre en lumière les missions du Vision & Justice Project », explique Loring Randolph, directrice de la programmation de Frieze.
Ne plus être seulement un lieu de transactions mais aussi un lieu engagé de discussions, tel est le pari de certaines foires américaines. Future Fair, qui s’est tenue pour sa première édition physiquement en septembre à New York, veut offrir aux galeries « une bulle d’air dans le marché mondial, une communauté fondée sur l’équité et la transparence ». « Je ne crois pas que le modèle traditionnel de la foire soit cassé, développe Rachel Mijares Fick, sa cofondatrice. Il n’est simplement plus suffisant. »
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Aux États-Unis, les foires à la croisée des chemins
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°575 du 15 octobre 2021, avec le titre suivant : Aux États-Unis, les foires à la croisée des chemins