C’est en 1963 qu’Anne et Jean-Claude Lahumière ont ouvert leur première galerie. Installés depuis 1995 au 17, rue du Parc Royal dans le Marais à Paris, à deux pas du Musée Picasso, ils fêtent donc cette année leur cinquantième anniversaire et revendiquent leur fidélité à l’abstraction géométrique et construite qu’ils ont toujours défendue au travers d’artistes aujourd’hui historiques comme Jean Dewasne, Auguste Herbin, Gottfried Honegger, Victor Vasarely ou d’autres plus jeunes, Nicholas Bodde, Jean-François Dubreuil, Antoine Perrot, Denis Pondruel…
Quel regard portez-vous sur ces cinquante ans de galerie ?
J’ai l’impression que ces années sont passées à une vitesse incroyable, que nous avons toujours couru et courons encore tous les jours. Ensuite, j’ai le sentiment d’une insatiable curiosité. Toute notre galerie, toute notre vie a été de regarder, regarder les artistes, les œuvres, les ateliers, les musées, les expositions et de faire des choix en fonction de cette connaissance. Très tôt, nous avons aussi voulu créer parallèlement une collection. Au début, ce n’était pas possible parce que pendant dix ans nous avons plutôt été au régime nouilles et patates. Démarrer une galerie, c’est un peu comme sauter dans une piscine où l’on croit voir de l’eau au fond alors qu’il n’y a que du béton. Mais l’envie de s’entourer d’œuvres, de les collectionner ne nous a jamais lâchés, non pas tant par amour pour l’artiste que pour l’art qu’il fabrique.
Quel est le souvenir qui vous vient immédiatement à l’esprit ?
Il n’y a pas un souvenir, il y en a des milliers. Il y a des rencontres extraordinaires qui font toute la richesse de notre métier ; je pense notamment à Jean Dewasne. C’était un homme devant lequel on s’agenouillait, mentalement bien sûr, tant il était intelligent et incisif. Je pense aussi à Susie Magnelli (nous n’avons jamais connu Alberto). On s’est aussi pris d’amour pour Auguste Herbin parce qu’un jour, il y a très longtemps, à la Fiac, Jean-Claude, mon mari, découvre une de ses œuvres et me dit « viens vite voir ». Le tableau avait pour titre Mer et c’était une folie.
Et la Fiac justement ?
Nous avons participé à la première édition et nous l’avons « faite » pendant 34 années consécutives. Mais nous en avons été virés en 2008 : nous avions présenté un dossier où nous proposions une exposition « Paris 1950: Auguste Herbin et son Cercle » avec pour commissaire Serge Lemoine. Cela n’a pas dû plaire au comité puisque nous n’avons pas été accepté. Nous avons donc montré l’exposition dans notre galerie et ce fut un succès. L’année suivante nous avons organisé une rétrospective Herbin, également dans toute la galerie, et nous avons eu 30 000 visiteurs. Cette exclusion de la foire est simplement la démonstration que les artistes importants du XXe siècle disparaissent et qu’on se focalise sur quelques noms, les mêmes en permanence. Cela signifie aussi que la mémoire de ce qui s’est passé dans l’histoire de l’art disparaît et ça, c’est très grave.
À vos yeux, le métier de galeriste a-t-il changé ?
Oui beaucoup. De quoi parle-t-on aujourd’hui ? De tel ou tel galeriste qui aime l’immobilier et s’agrandit. Mais on n’évoque pas ses choix, de toute façon il ne s’intéresse qu’aux artistes qui produisent beaucoup, qui vendent beaucoup et cher. On ne parle que des prix exorbitants atteints par de jeunes artistes. On achète parce qu’il y a une signature, une marque, parce que la côte atteint tant de millions. Cet aspect-là a pris le pas sur l’œil de l’amateur. Nous avons toujours pris le chemin le plus difficile qui est de défendre une tendance, en l’occurrence l’abstraction géométrique, construite, qui en France n’est pas vraiment appréciée. En plus, nous avons majoritairement choisi des artistes français ce qui n’a jamais facilité les choses. Mais à la galerie nous avons à faire à de vrais passionnés, qui n’achètent pas pour investir et revendre rapidement. Nous vendons des œuvres à des gens qui ont un vrai coup de cœur. C’est une tout autre vue du métier que d’exposer uniquement des œuvres qui se négocient bien. Nous choisissons une pièce en fonction de sa qualité, de sorte que si nous ne la vendons pas, elle puisse rentrer, avec plaisir, dans notre propre collection.
Pourquoi cette fidélité à l’abstraction géométrique ?
Nous n’avons pas commencé avec ce mouvement. Nous avons été les premiers à exposer, ce qu’on appelait à l’époque la peinture narrative, avec tout le groupe des Malassis. Mais petit à petit nous nous en sommes lassés. Et puis un jour, nous avons été dans l’atelier de Jean Dewasne et avons tout de suite réalisé que nous avions trouvé notre voie. Nous avons eu le sentiment d’une libération et cela nous a ouvert des horizons complètement différents. Et il est clair qu’une fois qu’on prend cette direction de l’abstraction, on a beaucoup de mal à en changer. Après vous ne voyez plus que ça !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Anne et Jean-Claude Lahumière, galeristes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Consulter la fiche de la galerie Lahumière.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Anne et Jean-Claude Lahumière, galeristes