Galerie

ART CONTEMPORAIN

Alberola l’inclassable chez Templon

Par Amélie Adamo · Le Journal des Arts

Le 1 février 2024 - 796 mots

Jean-Michel Alberola revient avec une exposition faisant dialoguer deux séries très différentes mais entrant en résonance avec le monde.

Paris. Dans l’espace de la rue du Grenier-Saint-Lazare sont réunies deux séries : les « Rois de rien » (au rez-de-chaussée) et « Les années 1965-1966-1967 » (au sous-sol). La première série montre des portraits peints à l’huile, figurant un personnage énigmatique assis sur une chaise, pieds nus, dont la représentation fragmentaire est parfois dissimulée sous des zones plus abstraites. Métaphores du pouvoir et de sa vacuité, ces portraits posent la question de la représentation, du regard et du rôle de l’artiste face à l’émiettement du monde et à l’Histoire, tragique. La deuxième série s’inscrit dans la continuité de l’exposition de l’artiste chez Templon à Bruxelles en 2023. « Les années 1965-1966-1967 » interrogent la liberté et la puissance de cette période de « contre-culture », avant que celle-ci ne soit récupérée par l’argent infiltrant l’industrie musicale et cinématographique.

Jean-Michel Alberola (né en 1953) se fait à la fois collectionneur, historien et monteur. Reprochant au capitalisme son amnésie progammée, l’artiste redonne vie à une mémoire artistique, politique et philosophique : il rassemble, annote, réécrit l’Histoire qu’il remonte dans un assemblage d’archives, de peintures, de dessins aux allures de cartes, d’esquisses. Des référents culturels y sont mixés à l’actualité contemporaine, ainsi du cinéma de Jean-Luc Godard, des émeutes de Watts (1965) ou de la guerre russo-ukrainienne.

Pour Anne-Claudie Coric, directrice générale de la galerie Templon : « C’est une exposition importante parce qu’elle permet de comprendre la pensée en arborescence de Jean-Michel Alberola. C’est un artiste pleinement peintre et, en même temps, historien de l’art et théoricien. Ses œuvres sont la combinaison d’une pensée foisonnante et puissamment originale qui donne naissance à des dessins, des sculptures, des néons et parfois des tableaux. »

Depuis le début des années 1980, où Alberola est révélé chez Templon avec « Suzanne et les vieillards », une série qui se réfère à la longue tradition de la peinture figurative, son travail a beaucoup évolué. Ainsi, note Anne-Claudie Coric : « Il s’est s’est emparé de grands champs de la pensée – littérature, cinéma, musique – pour produire une très grande diversité d’œuvres, de la lithographie aux aphorismes en néon. » Par ailleurs, précise la galeriste, cette exposition révèle la complexité d’une œuvre construite par ramification :« Ses tableaux sont le résultat d’un temps très long fait d’effacement, de reprises, de superpositions d’éléments abstraits qui vibrent de couleur. Certains tableaux font leur mue sur des périodes de cinq à sept ans. Un seul détail et le tableau se rééquilibre. L’œuvre d’Alberola touche au mystère même de la peinture. Sensuelle et intellectuelle, elle nous invite à l’aventure des détails comme le dirait l’artiste. »

Une production rare mais sous-évaluée

Jean-Michel Alberola développe son travail sans se soucier du marché ni de la mode, tout comme il se moque du jeu médiatique, fuyant les photographes comme ses propres vernissages. Par ailleurs, indique Anne-Claudie Coric, « sa production est extrêmement limitée mais cela ne le préoccupe guère. En dix ans, il a produit moins de 80 tableaux. » Ainsi, précise-t-elle, « les prix reflètent cet équilibre entre une production très rare et une demande constante qui ne se dément pas avec les années. L’artiste est soutenu par un groupe de fidèles collectionneurs, essentiellement français. Aux enchères, ses prix se maintiennent, sans être exceptionnels ; on y voit surtout des œuvres des années 1980, signées “Acteon Fecit”, très peu d’œuvres récentes. En ce qui concerne les prix en galerie, ils restent volontairement raisonnables : Jean-Michel Alberola est un artiste très engagé politiquement et il se méfie des effets de spéculation. »

Les prix affichés s’élèvent à 10 000 euros environ pour une œuvre sur papier, entre 25 000 et 60 000 euros pour les toiles ; les murs peints et les néons sont dans la même fourchette de prix. Par rapport « aux Allemands ou aux Américains, Jean-Michel Alberola, comme l’écrasante majorité des artistes français, a des prix bien inférieurs », note la galeriste. L’un des facteurs de cette sous-évaluation ? Le peu de soutien des institutions françaises. Si aujourd’hui, sous l’effet du marché international, la peinture figurative est moins ostracisée en France et bénéficie d’un regain d’intérêt, elle n’en fut pas moins longtemps décrite comme ringarde et réactionnaire. Bien sûr, explique Anne-Claudie Coric, Jean-Michel Alberola a été soutenu en France : « Suzanne Pagé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris a été un grand soutien. Le Fnac et divers Frac l’ont acheté et exposé. Ses œuvres sont présentes dans les collections du Centre Pompidou. Jean de Loisy, alors directeur du Palais de Tokyo, a organisé une rétrospective magistrale en 2016. » Mais ce soutien « a été trop limité et n’a pas suffi à l’imposer à l’international ». Un « diagnostic qui est le même pour de nombreux artistes français », tels ceux appartenant à Supports-Surfaces ou à la Figuration libre.

Alberola, les rois de rien et les années 1965-1966-1967,
jusqu’au 24 février, Templon, 28, rue du Grenier-Saint-Lazare, 75003 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°625 du 19 janvier 2024, avec le titre suivant : Alberola l’inclassable chez Templon

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque