En médecine, l’expression « suspended animation » (« biostase » en français) désigne le fait de mettre en suspens l’activité du corps, de ralentir les processus vitaux pour prolonger la vie.
Au Musée des Abattoirs, le phénomène donne son titre à une exposition d’abord présentée en début d’année au Hirschorn Museum (Washington), et dont l’enjeu est de scruter la façon dont les technologies d’animation numériques représentent le corps et ce qui se transmet de l’être humain à ses avatars, du réel à sa simulation par l’image de synthèse. Gianni Jetzer, son commissaire, y convoque neuf artistes de moins de quarante ans, et pour beaucoup des « millenials » baignés dès l’enfance dans la révolution numérique. Leurs œuvres, réalisées entre 2013 et 2016, offrent au visiteur une succession d’écrans – à l’exception d’Avery Singer, qui expose une série de toiles en noir et blanc composées à l’aide de logiciels de modélisation 3D – et convoquent aussi bien l’esthétique du jeu vidéo (Jon Rafman, Ed Atkins…) que l’actualité (Josh Kline), la science-fiction (Antoine Catala, Ian Cheng…), le cinéma et l’histoire de l’art (Helen Marten, Avery Singer). La diversité des œuvres présentées laisse vite entrevoir une série de points communs. Le plus frappant d’entre eux, annoncé dès l’orée de l’exposition par une présentation de A Computer Animated d’Edwin Catmull et Fred Parke, soit la première modélisation d’une main en 1972 par un ordinateur, est la propension des artistes à fragmenter le corps, à le transformer, à le malmener, sinon à l’effacer entièrement. Ici, une bouche flottant au-dessus d’une surface aquatique (Agnieszka Polska, I am the Mouth, 2014) ; là, le mouvement répété d’une chevelure devenue rideau de théâtre (Ed Atkins, Warm, Warm, Warm Spring Mouths, 2013) ; plus loin, une succession de cadavres (Jon Rafman, A Man Digging, 2013) ou de chimères, de faux-semblants (chez Josh Kline ou Kate Cooper). La plupart des avatars qui jalonnent « Suspended Animation » sont des êtres de discours. Leur logorrhée exprime une subjectivité narcissique, inquiète, obsessionnelle, à l’image, en somme, de nos avatars numériques, tout en affects désincarnés.
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L’écran fait corps
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : L’écran fait corps