Galeriste et producteur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2011 - 703 mots

Dans un marché de plus en plus concurrentiel, la production de projets, souvent longs et coûteux, par les galeristes est devenue le nerf de la guerre.

Les artistes voient de plus en plus grand. En témoignent le développement de plateformes comme « Art Unlimited » à Bâle, ou les parcours de sculptures au jardin des Tuileries et au Jardin des Plantes dans le cadre de la Fiac, à Paris. L’impératif de la production existait dès la fin des années 1960, de manière certes marginale, avec certaines galeries visionnaires comme ACE à Los Angeles. Aujourd’hui, la production ne se fait plus au coup par coup. Produire est devenu un métier, qui s’apparente ainsi de plus en plus à l’économie du spectacle vivant, nécessitant une expertise sur les questions techniques, mais aussi administratives et financières. Surtout, il faut produire tout au long de l’année pour nourrir les événements qui se succèdent selon un rythme effréné. 

Renouveler l’intérêt des collectionneurs
Le galeriste Emmanuel Perrotin (Paris) avait déboursé 500 000 euros pour l’exposition de Xavier Veilhan au château de Versailles, en 2009. Pour la Fiac, cette année, la galerie Yvon Lambert (Paris) a produit sept nouvelles œuvres de Loris Gréaud, visibles sur le stand, la pièce de Vincent Ganivet installée aux Tuileries et l’accrochage de Mircea Cantor dans le cadre du prix Marcel Duchamp (lire p. 26). « Il faut compter une enveloppe globale de 100 000 à 150 000 euros, remarque Olivier Belot, directeur de la galerie. Nous avons un engagement vis-à-vis des artistes qui ont envie de montrer de nouvelles œuvres dans le cadre d’une exposition internationale. Comme les collectionneurs voient beaucoup de choses, si nous ne leur présentons pas des pièces nouvelles ou historiques, cela ne les intéresse pas. » L’enseigne a d’ailleurs choisi de se concentrer sur un nombre réduit d’artistes à chaque foire. « Avant, j’avais tendance à montrer certains artistes dans toutes les foires, poursuit Olivier Belot. Mais je ne pense pas qu’on puisse produire huit œuvres par an de chaque artiste pour les foires, en plus des productions pour les musées. »

Les galeries sont désormais devenues des maîtres d’ouvrage. Les modalités de production peuvent varier d’une structure à l’autre. La majorité des enseignes produisent des éditions au fur et à mesure, la vente d’un exemplaire servant à financer le suivant. Emmanuel Perrotin avait fait intervenir des collectionneurs sur la production de l’Autruche de Maurizio Cattelan. C’est la démarche également suivie par la galerie Chantal Crousel (Paris) pour produire l’œuvre We the People de Danh Vo, dont des parties seront exposées aux Tuileries. L’artiste a choisi de reconstruire, à l’échelle 1, la statue de la Liberté de Frédéric Auguste Bartholdi, sculpture dont on a fêté cette année le cent vingt-cinquième anniversaire. La pièce ne sera toutefois pas présentée assemblée, mais morcelée : de fait, les deux pièces montrées aux Tuileries sont des morceaux purement abstraits.

La production du projet, qui a débuté en juin en Chine et dont la livraison devrait être achevée en janvier 2012, dépasse le million d’euros. De quoi refroidir n’importe quelle galerie. Chantal Crousel y a mis beaucoup de sa poche, tout en obtenant une avance sur achat de la part d’un collectionneur privé, lequel montrera en 2013 les pièces qu’il aura ainsi produites et achetées. « Ce type de projet change le quotidien des galeristes, les pousse à aller plus loin », indique Niklas Svennung, de la galerie Chantal Crousel. Et à s’engager dans des projets très longs.

La production des sculptures de Jeff Koons exposées l’an dernier chez Jérôme de Noirmont (Paris) a exigé quatre ans de préparation. Et les collectionneurs eux-mêmes sont amenés à jouer les mécènes. Steve et Chiara Rosenblum avaient d’emblée ouvert leur lieu sous ce signe en produisant des œuvres de Matthew Day Jackson et de Loris Gréaud. Par le biais de leur résidence SAM Art Projects, Sandra et Amaury Mulliez donnent environ 50 000 euros pour la production des pièces de leurs résidents. La Fondation nationale des arts graphiques et plastiques (FNAGP) vient de lancer un important fonds de dotation pour aider les artistes vivant en France ou Français basés à l’étranger (lire le JdA no 352, 9 septembre 2011). C’est dire si la production est un enjeu crucial.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Galeriste et producteur

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