Ambivalente, la relation entre artistes et foires d’art contemporain est une nécessité, dont l’appréciation varie en fonction des générations.
Liaisons subies voire dangereuses, rarement gourmandes mais toujours consenties, ambiguës souvent, nécessaires en tout cas… Les relations entre artistes et foires d’art contemporain n’ont rien d’un long fleuve tranquille mais affichent, pour la plupart, l’image d’un consentement mutuel, d’un exercice ou d’un passage obligé dans la progression d’une carrière. Les salons étant devenus des lieux de transaction essentiels et incontournables, cette « contrainte » commerciale s’apparente à un mal nécessaire, tant en ce qui touche à une forme de « validation » d’un travail par l’audience que par la nécessité financière de céder ses œuvres.
Quelques artistes en milieu de carrière sont très activement présents sur les salons et les utilisent comme une plateforme permettant de nouer des contacts tout en se donnant une visibilité physique. Mais beaucoup, réticents à aborder la pratique artistique à travers le prisme du marché, avouent une défiance vis-à-vis de ces grands raouts planétaires, dont certains dérivent trop vers un aspect people et glamour : une « arty attitude » qui en effraye plus d’un. Il en est ainsi de Stéphane Calais qui admet aimer y « retrouver quelques compères et y voir parfois quelques pièces invisibles autrement », mais tend à fuir l’expérience « à part le bref plaisir du vernissage. Une foire est le dernier endroit où un artiste doit mettre les pieds, car se retrouver tel un morceau de viande dans une très grande boucherie est une sensation très déplaisante, même si l’on est au courant » !
Défiance
Franck Scurti enfonce le clou de cette défiance : « Je crois que c’est bien un des seuls endroits du réseau de diffusion où l’artiste n’a pas grand-chose à faire. Je passe dans les foires pour vérifier si mon travail est bien accroché, mais n’y reste jamais longtemps. Il y a vraiment une coupure franche avec le système de diffusion actif avec lequel j’aime travailler et montrer mon travail. Je garde toujours un sentiment étrange de voir une idée, un concept, une spéculation purement intellectuelle ramenés à un élément de marketing. » Il mesure néanmoins l’importance de ces rendez-vous : « C’est un formidable endroit pour capter l’air du temps, souvent plus intéressant que des expositions de groupe. C’est une réalité et il est important que mon travail y soit montré. »
Annette Messager pointe le caractère contraignant des salons, tout en restant, elle aussi, lucide sur l’utilité d’une présence : « Mon travail est souvent presque impossible à montrer dans des foires, affirme-t-elle. Notamment à cause d’un temps d’installation trop long, ou de la complexité des œuvres. Aucun artiste n’y est à son avantage, on ne choisit pas ses voisins, ses murs ni son éclairage, mais c’est la même chose pour tout le monde. Néanmoins, je ne crache pas dans la soupe, et, si on est dans un bon club, l’exercice peut être intéressant. »
Socialisation
L’expérience apparaît toutefois plus légère pour les plus jeunes générations, pas encore trop effrayées par les rituels et les contraintes du marché, et qui voient là des lieux de socialisation leur permettant de se frotter au monde des professionnels. Pour Aïcha Hamu, « une foire est une bonne façon de revoir ses amis disséminés ça et là, mais c’est aussi l’occasion de découvrir de nouveaux artistes, de lier contact avec eux et, surtout, avec des commissaires d’exposition, des galeristes, des collectionneurs, etc. »
Sans oublier que, dans le cadre d’une manifestation de qualité, les artistes peuvent absorber en peu de temps une bonne concentration tant de l’art de leurs aînés que de leur génération, produit ici ou ailleurs : une expérience potentiellement nourrissante. Ainsi Armand Jalut avoue-t-il fréquenter essentiellement la Fiac. Il y voit un « rendez-vous important où l’on peut avoir une vision plus globale de certaines tendances, et où l’on voit s’esquisser des récurrences, ou même de nouveaux académismes. » Il en mesure, en outre, l’utilité pour l’évaluation de son propre travail : « On reproche souvent à une foire de ne pas rendre service aux œuvres, mais certaines galeries soignent leurs stands. Par ailleurs, y exposer est un bon «crash test» pour son travail. On est noyé dans la masse aux côtés de la grosse artillerie, cela permet de prendre de recul. » Frédéric Bonnet
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Le passage obligé des artistes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°354 du 7 octobre 2011, avec le titre suivant : Le passage obligé des artistes