La saga d’une reconstruction

11 Septembre, dix ans après

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2011 - 805 mots

Dix ans après l’effondrement des tours, l’ouverture d’un mémorial tente de faire oublier les aléas d’une reconstruction inachevée.

Deux miroirs d’eau creusés à trente pieds sous terre à l’emplacement précis des tours jumelles. Des murs traités en cascade, dont l’eau s’écoule au-devant de stèles gravées aux noms des milliers de victimes. Un petit musée mémorial, signé par le bureau d’architecture norvégien Snohetta, exposant vestiges et témoignages, dont un saisissant « mur des visages » constitué par un assemblage de photographies, devrait constituer un des points forts de la visite du site. Dix ans après l’effondrement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001, sous le coup d’attentats terroristes, le mémorial dédié aux victimes constitue désormais le seul symbole tangible de ces événements tragiques.

Baptisé Reflecting Absence, il a été construit par le jeune architecte Michael Arad (34 ans lors du concours), associé malgré lui au paysagiste Peter Walker chargé de végétaliser le site. À proximité, la nouvelle station de métro, construite par l’Espagnol Santiago Calatrava, évoquant un squelette de porc-épic, confirme que le quartier a bel et bien retrouvé une certaine ébullition. Le reste des 6,5 hectares de « Ground Zero » ressemble pourtant encore à une vaste zone de chantier. La Freedom Tower dessinée par Daniel Libeskind, longtemps considérée comme le symbole de ce qu’allait devenir le nouveau quartier du World Trade Center, ne verra jamais le jour dans son profil initial. Elle sera certes construite, avec sa flèche pointant à 1 776 pieds (soit 541 mètres), référence appuyée à la date d’Indépendance américaine, et son sommet asymétrique évoquant le profil de la statue de la Liberté. Mais son dessin a été fortement retravaillé – et densifié – par la bête noire de Libeskind, l’architecte David Childs, zélateur des intérêts du promoteur immobilier œuvrant sur le site. Désormais baptisé WTC 1, le gratte-ciel en cours de construction, prévu pour être achevé en 2013, ressemblera autant qu’un autre à une tour de bureaux de Manhattan. 

Où l’argent et le pouvoir donnent le « la »
La reconstruction du site de Lower Manhattan aura ainsi constitué une saga à rebondissements, faite de promesses non tenues, et aura longtemps alimenté la chronique des gazettes américaines. La polémique a pourtant fini par s’essouffler, laissant les grues opérer sur un site digne d’un champ de bataille avant que la crise économique ne vienne à son tour en perturber le programme – la construction de trois tours a été reportée à des jours meilleurs. La bataille du World Trade Center, longue et âpre, aura révélé que, même sur un sujet si sensible, argent et pouvoir continuent à donner le « la ». Avec, au générique, un financeur, le redoutable promoteur immobilier Larry Silverstein (en juillet il a emporté la mise pour un bail de location des tours d’une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans), désireux de faire financer par les assurances les mètres carrés perdus ; un propriétaire du terrain, Port Authority ; un maire et un gouverneur pour le volet politique ; et une commission spéciale – et hésitante – chargée du pilotage des projets, la Lower Manhattan Development Corporation. Soit autant de protagonistes qui n’ont jamais réussi à s’accorder sur la finalité d’une reconstruction, dans un quartier où les mètres carrés valent de l’or.

Dans ce casting, la cohorte d’architectes, censée être fédérée par l’Allemand Daniel Liesbskind, désigné dès 2003 par un jury pour concevoir le plan d’ensemble, n’aura joué que les seconds rôles. Mais Libeskind aura été l’homme des compromis, finissant par céder aux pressions du promoteur et de son architecte, David Childs, patron du puissant bureau d’architectes Skidmore, Owings and Merill. Les projets de l’architecte allemand, qui avait été salué pour la force évocatrice de son Musée juif de Berlin, auront été largement vidés de leur substance. Celui qui tenait à ne surtout pas faire du World Trade Center un équivalent de la Postdamer Platz de Berlin, place centrale de Berlin jadis coupée en deux par le mur, devenue un quartier de bureau sans âme, « où l’histoire est ignorée et submergée », aura dû, à New York, renoncer à cette ambition.

Pour éviter le gouffre financier, la liste des projets signés de grands noms de l’architecture a elle aussi été amendée pour une facture finale estimée à plus de 500 millions de dollars. Dès 2006, l’éminent critique du New Yorker, Paul Goldberger, traduisait déjà sans ambages le sentiment de nombreux New-Yorkais sur la reconstruction : « Cinq ans après les attaques terroristes, la chose la plus triste de toutes les absurdités de la reconstruction – les rivalités personnelles qui ont parfois altéré le sens commun, les déclarations pieuses masquant un manque total de conviction, l’amputation des budgets – est qu’elles en disent beaucoup plus de nous que nous voudrions penser. »   

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°352 du 9 septembre 2011, avec le titre suivant : La saga d’une reconstruction

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