PARIS
Dès la fin 1999, 150 "pièces majeures" d’arts primitifs seront exposées au Louvre. Pour la réalisation de cette "antenne", qui devra être "définitive" selon Philippe Douste-Blazy, le budget 1997 du ministère de la Culture prévoit 30 millions de francs de crédits. La commission Friedmann a donc répondu à l’exigence principale de Jacques Chirac voulant donner enfin "leur juste place dans le paysage culturel" aux arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques. Elle propose également que s’ouvre au Trocadéro, avant la fin du septennat, un "Musée de l’Homme, d’arts et de civilisations". Le schisme des "arts premiers" est consacré, tandis que le Musée de l’Homme – qui s’estime "démantelé" – et le Musée de la Marine – contraint de déménager – ne désarment pas.
PARIS. Sept mois de travaux ont été nécessaires à la commission dite des "arts premiers" – ou encore commission Jacques Friedmann, du nom de son président, un proche de Jacques Chirac, à la tête de l’UAP – pour accoucher d’un rapport proposant la création d’un nouveau musée à Paris à la fin de l’année 2001, et l’ouverture forcée du Louvre à de nouvelles civilisations.
Sous la présidence d’honneur de Claude Lévi-Strauss, la composition de la commission de douze membres reflétait l’état des camps en présence : d’un côté, des conservateurs de musées (Françoise Cachin, Pierre Rosenberg, Jean-Hubert Martin), de l’autre, des scientifiques (Henry de Lumley, Christine Hemmet) ainsi que des universitaires (Jean-Louis Paudrat), des administratifs et, bien sûr, Jacques Kerchache, ancien marchand, auteur d’un important ouvrage sur le sujet, commissaire d’expositions et héraut depuis des années de l’entrée des "arts premiers" sous la Pyramide.
Un milliard de francs
Les arts primitifs vont quitter leur exil près du bois de Vincennes pour gagner le seizième arrondissement. Le "Musée de l’Homme, d’arts et de civilisations" s’installera dans l’aile Passy du Palais de Chaillot, où sont logés actuellement les Musées de l’Homme et de la Marine. D’un coût évalué à 1 milliard de francs, le nouvel établissement public administratif – placé sous la double tutelle des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale et de la Recherche – regroupera les collections du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO) ainsi que celles d’un des trois "laboratoires" du Musée de l’Homme, celui d’ethnologie.
Il couvrira un très vaste champ géographique : l’Afrique, l’Océanie, la partie de l’Asie non représentée au Musée Guimet, l’Amérique indigène, l’Europe et ses sociétés traditionnelles. Mais celles de la France demeureraient du ressort du Musée des arts et traditions populaires.
Jacques Friedmann souhaite que le musée, disposant d’une surface de 31 000 m2, dont 8 000 m2 de réserves enterrées, puisse développer ses acquisitions, notamment en art contemporain. Les futurs budgets montreront dans quelle mesure ce vœu pieu se réalisera, les crédits d’acquisition restant toujours notoirement insuffisants.
Face aux purs et durs d’une seule vision ethnologique et à ceux d’une autre vison, uniquement esthétique, le rapport préconise un établissement très consensuel. Le futur musée devra être "d’un type nouveau" et "proposer plusieurs types de parcours". Mais ayant déjà à gérer ses propres divergences internes, la commission est restée dans le flou et s’est bien gardée de définir précisément les principes indispensables à une programmation qui devra faire collaborer scientifiques et conservateurs.
Illogique
Premier opposant, Henry de Lumley, directeur du Muséum d’histoire naturelle, la maison mère du Musée de l’Homme, s’insurge contre "le démantèlement" de son institution, privée d’un "laboratoire". Deuxième adversaire, le contre-amiral François Bellec, directeur du Musée de la Marine, épaulé par Éric Tabarly, proteste contre le déménagement de son musée à la porte Dorée, siège actuel du MAAO, dont le bâtiment est jugé mal adapté et trop éloigné. Une "commission indépendante" sera créée pour régler l’avenir des bateaux, maquettes et autres gréements.
Bien que la réalisation d’un grand musée soit envisagée, la commission s’est néanmoins obstinée à proposer l’entrée des "arts premiers" (premiers par rapport à qui ? quels seraient les arts seconds ?) au Louvre. Il y aura donc d’un côté des collections au Trocadéro et, de l’autre, 150 à 200 "chefs-d’œuvre" au bord de la Seine. À quelle logique répond ce choix ? Le Musée Guimet devra-t-il à son tour avoir "une antenne" – terme employé par le rapport – dans ce Palais et se priver de ses plus belles pièces ?
Le cabinet des dessins va perdre 1 400 m2 de surface d’exposition dans le Pavillon des Sessions, qui disposera d’une entrée autonome. Le coût du "symbole" Louvre est évalué à 30 millions de francs. Vaincu, Pierre Rosenberg, président du Louvre, ne pouvait plus qu’espérer que cette "antenne" – gérée par le nouveau musée des "arts premiers" – soit provisoire, la commission n’ayant pas tranché sur sa longévité. Philippe Douste-Blazy l’a vite contredit en présentant son budget 1997 : "Cette présentation doit être définitive et non transitoire", a-t-il déclaré. Et les 30 millions de francs sont déjà inscrits aux dépenses du ministère de la Culture.
Des races inégales ?
Jean-Marie Le Pen persiste et signe. Même si ce vieux routier de la politique affirme avoir été piégé par la question d’un journaliste, il a réitéré son credo en l’"inégalité des races". "C’est évident, toute l’histoire le démontre, elles n’ont pas la même capacité d’évolution historique", a-t-il déclaré à la télévision. On peut douter que le futur musée du Trocadéro fasse changer d’avis le président du Front National, pourfendeur de la "culture cosmopolite" et partisan de la suppression du ministère de la Culture au profit d’un secrétariat d’État aux seuls beaux-arts.
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"Arts premiers", le schisme Chirac
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : "Arts premiers", le schisme Chirac