La première rétrospective en France de Georg Baselitz permet enfin une vision d’ensemble d’une œuvre qui ne prête désormais plus à controverse. De 1962 à aujourd’hui, le peintre a accompli un parcours progressivement devenu de moins en moins accidenté.
PARIS - De tous ceux qui, en Allemagne au début des années soixante, délaissèrent les perspectives modernistes, Georg Baselitz est sans aucun doute l’un des plus intéressants, sinon le plus persuasif. Dès ses premières œuvres, il affiche son talent de peintre dans un mélange de brutalité et de sérénité. Si les influences sont assez transparentes, de Soutine à Guston et De Kooning, elles sont traitées sans embarras, sans aucune crainte ni mauvaise conscience. La Grande Nuit foutue (1962-1963), qui a valeur de manifeste, est un bon exemple de sa désinvolture confiante : quand elle fut présentée pour la première fois, cette toile ne fit pas scandale par son seul motif, jugé impudique, mais vraisemblablement aussi par sa détermination, par son caractère tranché et expéditif. Il s’agissait moins alors de rompre avec la tradition que d’affirmer son indépendance sans prendre la moindre précaution. Baselitz – ses textes réunis dans le catalogue le montrent assez – n’a évidemment aucun penchant pour le doute et se trouve assez vite capable d’élaborer un style qui se cristallise quelques années plus tard dans les désormais fameuses figures renversées.
D’un point de vue esthétique, la rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris est irréprochable et accuse toute l’amplitude des effets que cette œuvre habile peut déployer. Mais elle rend sans doute imparfaitement compte de cette mise au point du style, obéissant à une rigoureuse mécanique, par laquelle l’œuvre va se structurer peu à peu. Aux saynètes tragiques et parfois conventionnelles des débuts succèdent les tableaux-fracture, assez peu représentés ici, bientôt suivis par les figures renversées qui sont devenues sa signature. À l’évidence, Baselitz n’est pas seulement peintre, mais aussi artiste, c’est-à-dire lecteur attentif de l’histoire, observateur perspicace de l’actualité et stratège averti.
Distance et complaisance
À l’inverse de nombre de ses contemporains, pourtant, sa stratégie n’est en rien dogmatique : elle s’appuie sur un désir de peindre, exprimé sans états d’âme, qui parvient à éviter aussi bien les pièges de la nostalgie que ceux de la naïveté. Peu importe alors que le renversement de la figure soit une solution très fruste, puérile et artificielle pour se tenir à distance de la représentation – la complaisance du spectateur fait le reste. Là réside le tour de force stratégique de Baselitz et les limites étroites de son art : car cette complaisance est contractuelle, donc obligatoire si l’on veut continuer à considérer sa peinture. Pas de demi-mesures : l’artiste rejette d’emblée les jugements critiques, force l’adhésion et, achevant de lever les soupçons, le peintre séduit avec des démonstrations d’énergie. Souvent monumentales, tantôt agressives, tantôt délibérément décoratives, les œuvres peuvent même courir en toute impunité le risque d’être ratées.
BASELITZ, jusqu’au 5 janvier, ARC, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, tlj sauf lundi 10h-17h, samedi-dimanche 10h-18h45. Catalogue avec des contributions de Suzanne Pagé, Juliette Laffon, Eric Darragon, Richard Schiff, Siegfried Gohr et Rudi Fuchs, éditions Paris-Musées, 242 p., 295 F.
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Baselitz et le sens de la peinture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°31 du 1 décembre 1996, avec le titre suivant : Baselitz et le sens de la peinture