Kiev peine à récupérer une partie de son patrimoine que la Russie s’est attribuée après 1945.
KIEV, MOSCOU - De nouvelles recherches menées par un historien ukrainien viennent de révéler un pan méconnu des spoliations subies par l’Ukraine dans le domaine de la culture au cours de la Seconde Guerre mondiale. D’après Serhii Kot, de l’Institut d’histoire de l’Ukraine rattaché à l’Académie ukrainienne des sciences, l’Ukraine aurait perdu « un nombre colossal de biens culturels ». Le préjudice serait comparable à celui subi lors de l’invasion mongole du pays, au début du XIIIe siècle.
Ces recherches viennent contredire les déclarations de la Russie sur l’étendue de ses propres pertes. Lors du colloque « Trophées, pertes, équivalents : les objets culturels en tant que victimes de guerre », qui s’est tenu à Moscou en février, des scientifiques et des experts russes ont rappelé que les nations occidentales manquaient à leur devoir en omettant de restituer les objets provenant de l’ex-empire soviétique. Or Patricia Grimsted, chercheuse associée à l’Institut de recherches ukrainien de l’Université d’Harvard (États-Unis), n’a pas tardé à les contredire en précisant qu’une grande partie des biens culturels prétendument perdus par les Soviétiques avaient en fait été spoliées en territoire ukrainien.
« Dans tous les ouvrages occidentaux concernant les restitutions, il n’y a aucune information sur les pertes culturelles ukrainiennes, mis à part dans celui de Patricia Grimsted », indique Serhii Kot, qui ajoute que la plupart des auteurs utilisent le terme « Russie » pour désigner en fait l’Union soviétique : « Lorsqu’ils parlent des pertes russes, les officiels évoquent souvent des montants globaux pour l’URSS. »
Pillage systématique
Alors que la totalité du territoire ukrainien était occupé par l’Allemagne, Moscou et Leningrad ont résisté aux nazis et ont réussi à évacuer leurs collections. En revanche, « seulement 3 % au maximum des 3,5 millions de pièces des musées ukrainiens ont été évacuées », précise Serhii Kot.
Les nazis ont systématiquement spolié l’Ukraine de ses trésors culturels. Au total, ceux-ci représenteraient environ 55 % des pertes soviétiques et 74 % des œuvres les plus précieuses. Près de 150 des 174 musées d’Ukraine ont été gravement touchés. Ces pertes incluent 50 millions de livres, 250 000 objets d’art, dont 300 tableaux hollandais et flamands du XVIe et XVIIe siècles provenant du musée d’art régional d’Ouman, et environ 800 icônes de grande valeur qui n’ont pas été revus depuis l’occupation nazie.
Selon Patricia Grimsted, le gouvernement ukrainien devrait fournir plus de moyens pour enquêter sur la question : « Sans doute l’Ukraine devrait-elle suivre l’exemple de la Russie et créer un site Internet centralisant les listes d’objets et des documents iconographiques. » Elle ajoute que l’Ukraine ne devrait pas rester silencieuse au sujet des œuvres qu’elle a elle-même spoliées en Allemagne. Après la guerre, les Soviétiques ont récupéré nombre d’œuvres d’art en Allemagne, mais l’Ukraine n’a pas pour autant récupéré son patrimoine. Les Américains ont ainsi restitué aux Soviétiques environ 534 000 objets culturels entre 1945 et 1948, dont 167 000 provenaient de Kiev.
Selon Serhii Kot, les musées russes rechignent à collaborer pour déterminer le nombre d’objets ukrainiens en leur possession. Pourtant, à la fin des années 1990, des chercheurs ukrainiens ont appris que la Russie était en possession de vingt-six mosaïques et fresques du XIIe siècle provenant des murs de la cathédrale Saint-Michel à Kiev, édifice détruit par les Soviétiques dans les années 1930. Après des années de négociations, onze de ces fresques, détenues par le Musée de l’Ermitage, ont finalement été restituées à l’Ukraine.
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L’Ukraine lourdement pénalisée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : L’Ukraine lourdement pénalisée