PARIS
Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente l’œuvre de Giorgio De Chirico dans tous ses aspects.
PARIS - Giorgio De Chirico (1888-1978) aurait dû régner en monarque absolu sur l’exposition « Bad Painting - Good Art » présentée l’été dernier au Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig à Vienne, en Autriche. Ses suiveurs, Picabia, Magritte, Philip Guston ou encore Georg Baselitz y étaient réunis autour de la même audace : celle d’exécuter sciemment de mauvais tableaux pour repousser les limites de l’art. En effet, l’œuvre de Chirico a évolué bien au-delà de sa période dite « métaphysique », synonyme d’angoisse existentielle, celle des années 1910-1918, des places vides, des architectures anonymes et des statues aux ombres envahissantes. Cette phase apparaît encore aujourd’hui comme la partie congrue du travail du peintre italien, à travers l’influence d’André Breton : les surréalistes avaient porté aux nues les compositions « métaphysiques », avant de conspuer l’artiste lorsque celui-ci prit la tangente. Or la soixantaine d’années qui ont suivi démontre une inventivité, une liberté et une arrogance hors du commun. C’est ce recadrage que propose la rétrospective du Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Attention, exposition piégée. Dès la première salle, les portraits « métaphysiques » plantent le décor d’une peinture ambitieuse, intellectuelle et exigeante. Outre le sanguinolent Combat de centaures (1909) inspiré par le tableau d’Arnold Böcklin, les portraits de style Renaissance démontrent la capacité de l’artiste à intégrer des éléments de la peinture ancienne dans des compositions modernes – visages de profil ou de trois quarts, fenêtre ouverte à l’arrière-plan. Récapitulant de manière complète cette période grâce à moult prêts prestigieux, la première partie du parcours parvient encore à caresser dans le sens du poil, et ce même si Chirico nous soumet des énigmes et nous confronte à l’intangible. Contrairement à Yves Tanguy, qui déroute en peuplant ses paysages de formes organiques faussement reconnaissables, Chirico use d’une iconographie familière : trains, bananes, biscuits, mannequins anthropomorphes ou éléments géométriques, pour concocter des mises en scène relevant du défi intellectuel.
Au grand dam d’André Breton, ce lecteur assidu de Nietzsche et Schopenhauer a pourtant vite remis en cause ce modernisme jugé insuffisant. Son retour aux classiques, à la figuration, est d’autant plus révélateur au regard de la récente exposition du Grand Palais, « Picasso et les maîtres ». Tandis que l’Espagnol phagocyte la tradition pour la faire sienne, l’Italien la détourne pour surprendre, déranger, à l’exemple de ses Gladiateurs (1928-1929) difformes et inquiétants au combat comme au repos. Chirico explore les chefs-d’œuvre anciens pour en tirer la substantifique moelle, comprendre comment un tableau s’inscrit dans l’imagerie populaire. Cet aspect précisément n’a jamais été considéré à sa juste valeur – le recul n’était pas suffisant, le second degré de l’artiste trop difficile à saisir. « Avant Jeff Koons, John Currin et George Condo, ces œuvres tardives de Chirico étaient impossibles à regarder. On comprend seulement aujourd’hui qu’il y a une volonté d’art pop, ce qu’Andy Warhol a été le premier à saisir », argue Fabrice Hergott, directeur du musée.
Servie par un accrochage dense, la série d’autoportraits baroques en costume du XVIIe siècle, en torero ou en peintre de la Renaissance est un tel parangon de kitsch que les portraits de chien brodés sur les coussins que l’on trouve dans les vide-greniers paraissent bien ternes. Inutile de s’étendre sur la vue de Venise (1966), digne d’un Canaletto de la place du Tertre. Quel délice d’intelligence, de culot et d’arrogance ! Car Chirico finit, dans les années 1960, par reproduire ses œuvres métaphysiques des années 1910 à seule fin de brouiller les pistes, au mépris de ses détracteurs. Si les tableaux sont connus, cette démarche iconoclaste est ici révélée au grand jour, tout comme la liberté infinie de ses dernières toiles. « Il faut faire confiance aux artistes », conclut Fabrice Hergott. Et célébrer le mauvais goût.
GIORGIO DE CHIRICO. LA FABRIQUE DES RÊVES, jusqu’au 24 mai, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, 10h-22h le jeudi. Cat., éd. Paris-Musées, 360 p., 200 ill., 40 euros, ISBN 978-2-7596-0074-8.
GIORGIO DE CHIRICO
Commissaire : Jacqueline Munck, conservatrice au musée
Nombre d’œuvres : 170
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Chirico - Le défi du kitsch
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Chirico - Le défi du kitsch