Le style khmer

Pendant sa fermeture, entre 1996 et 2001, le Musée national d’arts asiatiques Guimet, à Paris, a mené d’importantes campagnes de restauration. Sa riche collection d’art khmer – probablement l’un des ensembles les plus complets au monde – n’a pas échappé aux mains des experts dont le travail a parfois consisté en une véritable dérestauration, dans un souci d’authenticité des œuvres.

Parallèlement à ces délicats travaux, Pierre Baptiste et Thierry Zéphir, inséparable duo scientifique en charge de la section Asie du Sud-Est du musée, se sont lancés dans la réalisation du catalogue raisonné des œuvres d’art khmer dont la connaissance était jusque-là émiettée dans diverses publication. Cette première synthèse présente la quasi-totalité des œuvres, à travers 132 notices détaillées des pièces les plus importantes regroupées dans un premier catalogue, et 168 vignettes commentées formant le catalogue annexe. Les textes sont accompagnés d’une iconographie dont il faut saluer la qualité. Les nombreuses photographies révèlent en détail ou dans leur ensemble la grande diversité et la richesse des figures khmères exécutées du VIe au XIXe siècle : des buddhas, bodhisattvas, brahmâ et divinités, tous sculptés dans le grès, essentiellement en ronde bosse ; des lingas et bas-reliefs issus de monuments disparus. Sans oublier ces pièces en bronze ou métaux précieux réalisées selon la technique de la fonte à la cire perdue. « Tout entière d’essence religieuse, la statuaire khmère est par nature stylisée et quelque peu stéréotypée au gré des différentes phases de son évolution », précisent Pierre Baptiste et Thierry Zéphir qui, marchant sur les pas de leurs prédécesseurs, s’en sont remis à la bonne vieille « méthode Stern ».

Grâce à une analyse stylistique des œuvres, d’abord prises isolément puis regroupées par corpus, l’historien et conservateur Philippe Stern avait réussi dans les années 1930 à préciser la chronologie de l’art khmer. Les œuvres sont ici répertoriées selon dix chapitres correspondant aux principales classifications stylistiques, de la statuaire bouddhique à l’art postangkorien. « Le sujet est bien sûr loin d’être épuisé ; et beaucoup reste à faire, avec peut-être un affinement de certains critères stylistiques, notamment en ce qui concerne l’étude de la sculpture préangkorienne (VIe-VIIIe siècle) », précisent les auteurs. La publication s’ouvre d’ailleurs sur une Tête de Buddha dont la datation et la provenance ne sont, aujourd’hui encore, pas résolues. Au fil des pages, se déploient les chefs-d’œuvre du musée : le Harihara (fin VIe-VIIe siècle) de Phnom Da, qui porte encore les traces d’une dorure sur laque, les linteaux de Preah Ko (fin IXe) témoignant de la virtuosité de ses sculpteurs, la déesse d’Angkor Vat (fin du XIIe siècle) encore enduite de laque rouge ou Le Portrait du roi Jayavarman VII (fin XIIe-début XIIIe) de Bayon. Résumant à lui seul la beauté de l’art khmer, cette pièce serait originaire du temple de Ta Prohm, comme l’avancent Thierry Zéphir et Pierre Baptiste.

Aux côtés des pièces emblématiques, figurent des œuvres plus surprenantes tel ce bodhisattva en bronze rattaché au style d’Angkor Vat et récemment entré dans les collections, un des plus beaux exemples des productions métalliques de la collection khmère. Citons encore la divinité féminine (fin IXe) de Preah Ko dont la tête et le corps ont été rapprochés en 2006. À peine achevé ce catalogue raisonné, Pierre Baptiste et Thierry Zéphir quittaient le Cambodge pour la Thaïlande, sur les traces de l’art Dvâravatî auquel le Musée Guimet va consacrer sa prochaine grande exposition (lire p. 34).