PARIS
Comme pour amplifier l’impact d’une œuvre restée plutôt discrète, l’exposition David Hockney est répartie en trois lieux distincts (Centre Pompidou, Musée Picasso et Maison européenne de la photographie), laissant ainsi apparaître quelques faiblesses comparatives, mais donnant quelque avantage à la démarche photographique, inventive et contrariante.
PARIS - Le plus intéressant, dans la peinture de David Hockney, est peut-être la photographie... Quand on aura constaté, au Musée Picasso, que le désir de se mesurer à un grand prédécesseur ne résiste pas à la comparaison, on pourra se consoler à la Maison européenne de la photographie qui accueille ce qui aurait pu servir utilement de contrepoint aux toiles du Centre Pompidou – comme si la photographie devait être systématiquement minorée. Donc, Hockney photographie, comme tout le monde et comme la plupart des artistes – à commencer par Picasso –, et si l’on en croit le chiffre avancé de 30 000 clichés (proche de la production d’un photographe patenté), il faudra bien admettre, fut-ce tardivement comme pour Bacon, que l’œuvre peint est connexe à la connaissance de la photographie. Et parfois (ou toujours ?) plus que cela : y aurait-il une œuvre picturale de Hockney comme de Bacon, s’il n’y avait aussi de la photographie et une lecture attentive de l’immersion générale dans les médias photographiques. À ceci près, caractérisant Hockney, qu’il fait lui-même ses photographies et que sa flagrante absence d’inhibition lui a permis d’ouvrir le champ de la pratique photographique au lieu de seulement s’en servir. Il n’échappera à personne que ses toiles les plus célèbres des années soixante – portraits de couples en intérieur, bords de piscines – doivent leur originalité à la pose banalement photographique, et que le naturalisme pop dans lequel il développe son style propre est hanté par la similitude morphologique entre le tableau et la photo, ou même par l’effet purement photographique de l’instantané (A bigger Splash).
Il faut reconnaître à Hockney d’avoir construit, sur ce fond analogique commun, non pas une simple imitation mais une rupture de la démarche photographique standard. En pratiquant le photocollage d’un nombre croissant de petites vues indépendantes qui se juxtaposent ou se superposent, il définit un acte de prise de vue photographique qui prend tout son sens par rapport à sa pratique picturale déjà bien ancrée, tout en l’intégrant à cette catégorie nouvelle, et de bel avenir, des “artistes qui utilisent la photographie”. Dans ce contexte de postmodernisme réinterrogeant les modalités de la vision, Hockney est celui qui dynamite le sacro-saint point de vue unique de l’objectif en créant des images faites du non-raccordement de points de vue multiples, synthèse des arrêts intermittents du regard. À la dispersion explosive du point de vue s’ajoute la confusion des temporalités de chaque image, où se télescopent des fragments de personnages en mouvement dans l’espace parcellisé.
Une obstination regrettable ?
1982 est la grande année de cette déflagration du regard : sous forme de Polaroids carrés soigneusement accolés mais sans continuité réelle (Gregory swimming), ou de simples tirages d’amateur qui se chevauchent pour meubler la surface et la creuser d’autant de petites perspectives individuelles (Poteau télégraphique) qui ne sont pas sans rappeler les principes du Cubisme (toujours Picasso). La perspective du Brooklyn Bridge (1982), du reste tiré à 20 exemplaires, s’y prête particulièrement. Le Grand Canyon de 1982, traité de la même manière ou par vues rectangulaires plus sages, est le point de départ des peintures sur le même thème traitées par assemblage, qui aboutissent au diversement appréciable Bigger Grand Canyon (1998, 60 toiles accolées, Centre Pompidou). La photographie n’est certainement pas un champ expérimental pour Hockney, mais son champ naturel, le plus proche de sa vision oculaire. Et bien que la plupart de ses photographies standard – sans collages – soient assez convenues et ennuyeuses, on peut parfois se demander aussi pourquoi il s’entête à faire de la peinture.
Jusqu’au 14 mars, Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75, tlj sauf lundi et mardi 11h-20h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le meilleur d’Hockney
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Le meilleur d’Hockney