L’Internet va entraîner une réforme structurelle majeure du marché de l’art, un secteur régi depuis des siècles par des usages immuables et une oligarchie inébranlable. Loin de l’hyperbole, cette affirmation se base au contraire sur une analyse méticuleuse des données disponibles, décryptées par Andy Bottomley, directeur de recherche et membre du conseil d’administration de la Durlacher Corporation, un groupe britannique d’investissement spécialisé dans l’Internet.
Dans son état actuel, le marché de l’art est une curiosité héritée du XIXe siècle qui doit absolument évoluer. La disparition de Sotheby’s, Christie’s et consorts n’est naturellement pas à l’ordre du jour, mais ces acteurs solidement établis doivent impérativement saisir les nouveaux moyens qui s’offrent à eux s’ils veulent jouer un rôle dans la nouvelle économie. Le message est très simple : nul ne peut ignorer le pouvoir et la portée de l’Internet. Déjà, de nouveaux concurrents, tels que NextMonet Inc. (soutenu par le titan américain des fonds d’investissement sur l’Internet, CMGI), The Guild (appuyé par eVentures, une société de capital-risque appartenant à Rupert Murdoch), et des dizaines d’autres acteurs plus modestes ont fait leurs calculs et convoitent désormais une part de ce marché en pleine restructuration… et à portée de main.
La qualité majeure de l’Internet est de permettre aux marchés mondiaux de trouver un équilibre naturel où l’offre et la demande – et donc le niveau des prix – sont déterminés plus directement par les forces du marché. L’effet déflationniste de l’Internet est d’ailleurs très bien documenté. L’autre dynamique à mettre au compte du développement du commerce électronique est la cristallisation à l’échelle mondiale d’intérêts, d’objectifs et de pratiques commerciales communes dans un système économiquement viable. L’Internet permet non seulement de cannibaliser des segments de marché, mais il “gonfle” de surcroît le marché en permettant de connecter plus efficacement fournisseurs et clients. A contrario, l’élitisme, qui est la raison d’être des galeries de Cork Street et de Bruton Street, rend leur adaptation aux règles de la nouvelle économie problématique. Les modèles qui fonctionnent bien sur l’Internet sont communautaires et intégrateurs, plutôt qu’élitistes et exclusifs. Ceux qui créeront une communauté d’intérêts fondée sur la confiance et concrétiseront leur avantage par des ventes seront les gagnants. Mais ceux qui s’appuient sur les usages et la tradition pour développer leurs affaires pourront au mieux prospérer au sein de certaines niches spécialisées : l’avenir sur le Web appartient à ceux qui engloberont la totalité du marché. Jusqu’à présent, les auctioneers et les galeries réussissent, dans l’ensemble, à créer l’événement et à faire leur promotion, à satisfaire leur clientèle et à obtenir des prix de ventes élevés. Cette compétence et ce savoir-faire sont compétitifs et ne doivent pas être sous-estimés.
“Change is coming”
Néanmoins, le marché traditionnel se complaît à surestimer son pouvoir de séduction – son “cachet”– et le réveil risque d’être brutal. Les récentes créations de sites Web par ces acteurs du marché de l’art trahissent généralement une méconnaissance de ce nouveau média. Les galeristes et les marchands se contentent trop souvent d’une adaptation en ligne d’activités commerciales traditionnelles Il semblerait que personne ne sache encore utiliser au mieux les potentialités de l’Internet… mais ce n’est qu’un commencement. Une plus grande largeur de bande permettra, à l’avenir, de fournir des images de meilleure qualité et de créer de nouvelles façons de regarder l’art, en demandant par exemple à des artistes de présenter en ligne leur travail. Cette évolution aidera l’acheteur potentiel à se décider, ou non, à se porter acquéreur en connaissance de cause, ce qui pourrait augmenter les transactions. Ce type d’expérience devrait davantage ressembler à une présentation virtuelle privée qu’à un catalogue en ligne. Les passionnés de tel ou tel mouvement artistique pourront également se retrouver dans des forums et décider par eux-mêmes de ce qui est esthétiquement bon ou mauvais, court-circuitant ainsi la critique… Par ailleurs, la mondialisation de la culture en ligne engendrera un “terrain de jeux” plus vaste et conduira à une plus grande universalité de choix pour les acheteurs. Change is coming and it’s coming faster than you think.
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Internet, en avant toute
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Internet, en avant toute