Francisco de Goya (1746-1828) avait pris soin de rassembler ses dessins, exécutés pour la plupart à partir de 1796, dans huit albums, que la postérité s’est chargée de disperser. La Hayward Gallery de Londres en a rassemblé cent vingt, dans lesquels se retrouve l’univers chaotique et ironique du Sordo.
Pour son usage personnel, Goya avait lui-même constitué huit albums pour y rassembler ses dessins, qui témoignent de l’évolution de son style et de ses thèmes. Depuis sa mort, en 1828 à Bordeaux, les œuvres ont vécu une histoire en dents de scie. Son fils les avait réunis en deux ou trois grands volumes, puis son petit-fils a progressivement vendu leur contenu. Bon nombre de dessins ont été achetés par Federico de Madrazo, artiste espagnol et directeur du Musée du Prado, qui les a plus tard dispersés. Si beaucoup sont arrivés, par des voies mystérieuses, au Prado, ils sont aujourd’hui répartis dans des musées et des collections privées du monde entier.
La dispersion des albums représente un problème plus grave qu’on ne pourrait le croire au premier abord. En effet, il ne s’agit pas ici des carnets de croquis de l’artiste, contenant des fragments d’images et des études préparatoires, mais plutôt de dessins très achevés, avec de nombreux pentimenti et grattages, assemblés avec soin par Goya lui-même, selon leur style et leur thème. Même si deux des albums étaient déjà reliés lorsqu’il en a fait l’acquisition, les autres ont été assemblés à partir de feuillets épars, et les changements de numéro effectués de la propre main de Goya attestent de l’attention qu’il portait à l’ordre qu’il voulait leur donner.
La sélection proposée par la Hayward Gallery tente de représenter au mieux le style et le contenu de chaque album. La plupart des dessins exposés proviennent de collections privées et sont inaccessibles au grand public, d’autres, connus seulement pour avoir été mentionnés dans des catalogues de ventes, font leur réapparition et sont vus ici pour la première fois. Enfin, l’un d’entre eux est une découverte totale. Il s’agit d’un feuillet figurant une sorcière en vol, découvert et identifié au Musée des beaux-arts de Marseille par Juliet Wilson-Bareau, la commissaire de l’exposition.
Des visions étranges
Outre leur intérêt historique intrinsèque, ces dessins sont dotés d’une vigueur et d’une vitalité exceptionnelles et proposent un éclairage supplémentaire sur l’univers personnel et les visions parfois étranges de l’artiste. Ils donnent aussi une idée précise des folies et des petites manies des hommes. À la fois satiriques et subversifs, enchanteurs et épouvantables, ils dévoilent un monde extraordinaire de mendiants, de marginaux, d’ivrognes, de prostituées, de moines défroqués et d’inquisiteurs sadiques, de pitoyables victimes de tortures et de monstres masqués ou difformes. Des images de son amie et mécène, la belle duchesse d’Albe, côtoient des images érotiques et des scènes de maisons closes. La plupart des dessins sont accompagnés de légendes inscrites d’une main nerveuse par Goya, qui mettent en valeur l’intention ironique, fantasmagorique ou comique des sujets. On retrouve de nombreux thèmes déjà connus grâce aux gravures et aux peintures, notamment Les Caprices et les Peintures noires.
Les albums valent aussi par leur contexte : parce qu’à l’époque, le dessin en tant qu’expression artistique n’existait pas en Espagne, la teneur et la qualité de ceux de Goya font de cette collection un ensemble unique.
La reconstitution des albums a nécessité un véritable travail de détective et tandis qu’elle préparait l’exposition, Juliet Wilson-Bareau a pu étudier de visu 90 % des dessins des albums. Cela représente un grand pas non seulement pour ce qui concerne l’histoire particulière de chaque dessin et la datation de certaines séries, mais aussi pour l’évaluation des albums dans l’œuvre de Goya. Par ailleurs, “la réalisation d’un catalogue raisonné exhaustif” sera, selon l’historienne, “un outil essentiel pour une meilleure attribution de plusieurs œuvres actuellement données à Goya, mais qui pourraient bien avoir été réalisées par un autre de ses contemporains”.
Jusqu’au 13 mai, Hayward Gallery, Belvedere Road, Londres, tél. 44 207 960 42 42, tlj 10h-18h, www.hayward-gallery.org.uk. Catalogue.
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La cour des miracles de Goya
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : La cour des miracles de Goya