Édifié au XVIe siècle par
un mystérieux architecte,
le château de Maulnes, situé dans la commune de Cruzy-le-Châtel, va enfin, après des années d’abandon, faire l’objet de travaux de restauration. Bloquant le début des opérations, le conflit qui opposait l’État et le conseil général de l’Yonne (propriétaire du château) a pris fin avec la nomination de l’architecte en chef Paul Barnoud. De leur côté,
les archéologues ont mené
des fouilles qui se sont révélées fructueuses.
CRUZY-LE-CHÂTEL - “Le nom de Maulnes répondrait [...] aux sombres légendes qui se rattachent à cette forêt. ‘Molnitum’, ‘Maulnidum’, serait formé de deux mots : ‘Malus nido’, mauvais nid, repaire de brigands, de sorciers, de fées malfaisantes.” Si l’interprétation fournie par Eugène Lambert en 1879 est aujourd’hui dépassée, le site de Maulnes n’en a pas moins conservé ce quelque chose d’étrange et de merveilleux. Construit de 1566 à 1572 pour Antoine de Crussol, duc d’Uzès, le château de Maulnes occupe une place particulière dans l’histoire de l’architecture française par l’originalité de son plan pentagonal et sa maîtrise des volumes et de la lumière. La cage d’escalier que le visiteur découvre en entrant s’éleve en spirale. Au fond apparaît l’eau sombre de la source sur laquelle fut construit l’édifice, tandis que la clarté augmente au fur et à mesure qu’on monte l’escalier. Aujourd’hui, le château tombe en ruine : la majorité des salles est détruite, la charpente est en très mauvais état, la galerie qui unissait le corps des logis à la cour ronde a, elle, totalement disparu. Il en est de même pour la lanterne en dôme et les quatre pyramides qui le flanquaient – leur existence est connue par Les Plus Excellents Bastiments de France de Jacques Androuet du Cerceau, ouvrage dans lequel figure une description du bâtiment rédigée entre 1573 et 1576. Plus encore que les séquelles laissées par le temps, l’édifice a souffert des mauvais traitements infligés par ses anciens propriétaires.
Représenté par Henri de Raincourt, le conseil général de l’Yonne lance une procédure d’expropriation, et acquiert le château en 1997. Sa restauration est ensuite confiée à Bruno Decaris, architecte en chef des Monuments historiques en charge de toutes les restaurations dans l’Yonne (il s’occupe notamment du château d’Ancy-le-Franc). Mais les projets “onéreux” et “spectaculaires” de Bruno Decaris ne sont pas du goût du conseil général, ni des équipes scientifiques qui travaillent sur le terrain. À l’inverse de l’architecte en chef, qui opte pour une restauration globale de l’édifice à partir des plans de Du Cerceau, ces derniers prônent une restauration légère, par étapes progressives, n’engageant pas les travaux de manière irrémédiable, et donnent la priorité à une ouverture rapide au public. Le conseil général de l’Yonne obtient finalement gain de cause : Bruno Decaris est dessaisi du dossier, pour être remplacé par Paul Barnoud, architecte en chef des Monuments historiques de la Nièvre. “Maulnes est un lieu unique. Nous souhaitons entamer les travaux de la manière la plus respectueuse et modeste qui soit, en visant uniquement ce qui est nécessaire pour le remettre en état. Nous ne voulons pas lui donner une fausse jeunesse en essayant de réinterpréter les parties manquantes et effacer [ainsi] la patine et le charme opéré par le passage du temps sur un bâtiment”, explique Jean-Pierre Halévy, chargé de la coordination du comité scientifique.
Un outil pédagogique
Au cœur des débats actuels sur la rénovation des monuments historiques, sur la décentralisation et le transfert des compétences, et plus généralement sur la notion même de restauration, le cas du château de Maulnes pourrait devenir un exemple sur le plan national.
Le conflit a évidemment retardé les travaux. La restauration de l’édifice n’a pas avancé depuis cinq ans ; seul le bâtiment des communs, ayant souffert lors de la tempête de 1999, a été consolidé. Comme le précise l’archéologue Fabrice Henrion, l’équipe scientifique et le conseil de l’Yonne souhaitent “faire du château un outil pédagogique en l’état : montrer que la restauration est quelque chose d’arbitraire et qu’il y a autant de réponses que d’architectes”. Pour cela, certaines parties du chantier mises au jour seront laissées visibles et des images de synthèse permettront d’évoquer différents types de restauration. Pour l’heure, les fouilles menées sur le site se sont révélées fructueuses. Littéralement posé sur une source, le château est équipé de canalisations, d’un bassin dans le nymphée et d’un appartement de bain remarquablement construit. Pour descendre dans la partie centrale où devait exister un baquet, on empruntait des gradins servant également de banquettes ; l’évacuation de l’eau se faisait par un aménagement situé dans le mur. Un décalage d’un mètre plus au nord ou plus au sud aurait rendu impossible l’alimentation en eau du puits. D’infimes détails d’aménagement et de décor du château permettent également de restituer l’ambiance antérieure. Quant à son architecte, il demeure toujours inconnu : certains ont attribué les plans à Sebastiano Serlio, l’auteur d’Ancy-le-France (situé non loin de Maulnes), décédé douze ans avant le début de la construction de Maulnes, d’autres à Francesco Paciotto, ou encore à Philibert Delorme. La nature de l’édifice, elle, ne laisse subsister aucun doute : il s’agit bel et bien d’un chef-d’œuvre, élaboré par un maître de l’architecture.
Avec les châteaux de Tanlay et d’Ancy-le-Franc, Maulnes pourrait redonner vie à une région délaissée par le tourisme.
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Maulnes s’apprête à vivre une deuxième vie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Maulnes s’apprête à vivre une deuxième vie