Le Musée Jacquemart-André, à Paris, montre comment l’artiste s’est nourri des œuvres littéraires.
Paris - Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) ne saurait se réduire à l’image de ce « chérubin de la peinture érotique » diffusée par les frères Goncourt et encore ancré dans les esprits, affirme haut et fort l’historienne Marie-Anne Dupuy-Vachey, dans la lignée des travaux déjà réalisés par Jean-Pierre Cuzin ou Pierre Rosenberg. Commissaire de la nouvelle exposition du Musée Jacquemart-André, à Paris, la spécialiste s’est intéressée aux sources d’inspiration du peintre et à l’importance de la littérature dans son œuvre. Un aspect qu’elle avait déjà défendu mais qui avait été négligé lors de la rétrospective organisée au Grand Palais (Paris) puis au Metropolitan Museum of Art (New York), en 1987-1988, de l’aveu même de son commissaire, Pierre Rosenberg. « Marie-Anne Dupuy-Vachey veut voir en Fragonard un “conteur” et sans doute n’a-t-elle pas tort », reconnaît aujourd’hui l’historien de l’art dans la préface au catalogue du musée parisien.
C’est en illustrant les Contes et nouvelles de La Fontaine à la fin de son séjour romain (1760-1761) que Fragonard s’est lancé dans l’interprétation d’un texte littéraire. Plus encore que Boucher, dont il fréquentait l’atelier, c’est l’écrivain qui aurait orienté sa carrière. En cherchant à traduire l’esprit du récit, Fragonard est devenu ce « metteur en scène génial d’histoires aussi variées que complexes » que nous décrit Marie-Anne Dupuy-Vachey. Après La Fontaine, Fragonard s’attaque à des auteurs tels Cervantès ou l’Arioste. Éparpillées dans diverses collections du monde entier, ses illustrations de Don Quichotte (1605/1615) ou du Roland Furieux (1532) sont aujourd’hui réunies au Musée Jacquemart-André. La liste des établissements prêteurs, qui comprend la National Gallery de Washington, le British Museum à Londres, le Ashmolean Museum d’Oxford, la Yale University Art Gallery (New Haven, Connecticut) ou le Städelsches Kunstinstitut de Francfort-sur-le-Main est éloquente, sans oublier la pléthore de collectionneurs privés.
Les dessins pour le poème de l’Arioste constituent la série la plus fascinante. Avec subtilité, Fragonard a su traduire le rythme enflammé de ce récit complexe mêlant faits historiques et personnages imaginaires dans lequel l’auteur utilise de nombreuses métaphores. Relativement exiguës, les salles d’expositions temporaires du musée parisien constituent de petits cabinets qui se prêtent parfaitement à la présentation de ces feuilles d’une grande vitalité. Les dessins du Roland furieux ou du Don Quichotte n’ont pas franchi le stade de l’esquisse et restent énigmatiques à de nombreux égards : leur destinataire est inconnu et il semble impossible de les dater précisément (on les situe entre la fin des années 1770 et le début des années 1780). Projets non aboutis ou dessins exécutés pour le seul plaisir de l’artiste ?…
Longtemps considérées comme une production de seconde catégorie, les illustrations littéraires de Fragonard révèlent peut-être un des aspects les plus intimes de son œuvre. « Le recours à la littérature ne sert jamais à pallier un défaut d’imagination, mais à l’attiser », précise la commissaire. Organisé en petites séquences thématiques, le parcours rend aussi hommage au peintre d’Histoire à travers des tableaux tel Jéroboam sacrifiant aux idoles, grâce auquel Fragonard remporta le Prix de Rome en 1752, ou Renaud entre dans la forêt enchantée, inspiré du récit très romancé de la première croisade, La Jérusalem délivrée (fin du XVIe siècle). Cette toile souligne l’importance de la littérature, véritable « poumon » de l’œuvre de Fragonard selon Marie-Anne Dupuy-Vachey. Ce parti pris permet d’approcher un peu plus un œuvre que l’historien Jacques Thuillier décrit comme la véritable incarnation de la poésie.
Jusqu’au 13 janvier 2008, Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 11 59, www.musee-jacquemart-andre.com, tlj 10h-18h. Catalogue, éd. Snoeck, 182 p., 39 euros.
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Fragonard, peintre d’histoires
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Marie-Anne Dupuy-Vachey, historienne de l’art, et Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André - Nombre d’œuvres : 88
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Fragonard, peintre d’histoires