Le Grand Palais présente à travers un parcours presque initiatique la variété foisonnante d’une tradition millénaire.
PARIS - Les montagnes sont la voie, royale et céleste à la fois, pour entrer dans la peinture chinoise. C’est ce dont nous convainc l’exposition du Grand Palais, point d’orgue de l’Année de la Chine en France. Une centaine de peintures du XIIe au XIXe siècle, et une cinquantaine d’objets archéologiques, en provenance des musées de la République populaire de Chine (à l’exception de quelques pièces), composent un parcours presque initiatique au cours duquel sont révélées à la fois les significations profondes d’un genre dominant en Chine – la peinture de paysage – et la variété foisonnante de cette tradition millénaire. La qualité de l’exposition, ses partis pris – remonter aux origines religieuses du genre, mais aussi mettre en avant la richesse picturale et la beauté des œuvres, tout en créant, à travers une muséographie adaptée, le climat de contemplation et de méditation qu’elles réclament – doivent beaucoup à l’enthousiasme de son commissaire principal, Jacques Giès, par ailleurs conservateur en chef au Musée Guimet à Paris.
En Chine, la notion de paysage est exprimée par la conjonction des termes shan (montagne) et shui (eaux). Et la peinture de paysage (shanshui hua) englobe nécessairement ces deux pôles d’une géographie autant mentale, religieuse et spirituelle que physique. Les montagnes et les fleuves sont liés aux mythes fondateurs de la pensée chinoise, ils sont les témoins de l’origine du monde, la manifestation sensible de cette énergie primordiale et régulatrice que les taoïstes appelleront dao, « la Voie ». Les montagnes sont considérées comme des piliers soutenant l’azur et des lieux de passage pour accéder aux puissances célestes. Elles sont le séjour des Immortels, abritent toutes sortes de créatures fantastiques, et accueillent l’âme spirituelle des défunts. Dans les sépultures, vaisselle funéraire et brûle-parfums en forme de montagne préparent ces derniers à accomplir le périlleux voyage. Depuis la plus haute Antiquité, des cultes sont rendus aux grands fleuves et aux cinq pics sacrés qui, situés aux quatre points cardinaux et en son centre, orientent l’immense territoire chinois. Le sacrifice sur le mont Tai parachève les cérémonies d’investiture des souverains. Le premier volet de l’exposition illustre ce substrat mythologique et religieux qui est à l’origine du shanshui hua.
Le sage dans la montagne
Il faut attendre les premiers siècles de notre ère, la constitution en systèmes religieux du taoïsme et du confucianisme et l’expansion du bouddhisme venu de l’Inde, pour que le regard porté sur la nature se détache peu à peu de l’antique religion royale et de la pensée magique. Les montagnes deviennent des lieux accessibles. Maîtres taoïstes et moines bouddhistes, fuyant le monde, s’y réfugient pour trouver le « calme » et la « pureté ». La contemplation des merveilles de la nature devient le support d’une quête de soi-même. Cette attitude conditionne les premières représentations, d’abord littéraires puis picturales, du paysage, à partir du IVe siècle. La thèse de Jacques Giès est que le bouddhisme – au moins autant que le taoïsme – par sa perception aiguë d’un monde phénoménal débarrassé de ses prolongements mythologiques, est pour beaucoup dans l’émergence de ce genre artistique. Un genre qui s’impose au fil des siècles, et connaît son âge d’or sous les Song (960-1279) et les Yuan (1277-1367), principalement grâce aux lettrés, hauts fonctionnaires que leur culture littéraire et calligraphique, c’est tout un, prédisposait à la pratique picturale. Or l’idéal des peintres lettrés (traditionnellement opposés aux peintres professionnels, plus soucieux de plaire par l’imitation exacte de la nature), c’est le sage retiré dans la montagne, loin des affaires du monde. Leur pratique picturale s’assimile à une quête spirituelle où il importe à la fois de saisir le souffle qui anime la nature, et de le restituer « de l’intérieur », marqué du sceau de la sensibilité individuelle. Cette exigence d’intériorité et d’indépendance – pourtant accordée à une continuelle référence aux Anciens – s’accompagne d’une réflexion, initiée dès l’époque correspondant à notre haut Moyen Âge, sur les moyens et les fins de la peinture. De là à parler de modernité, il n’y a qu’un pas, que bien des fulgurances nous incitent à franchir : qu’il s’agisse des concrétions géologiques, à fortes analogies sexuelles, comme souvent, d’un Wang Lü (1332- ?), de la « danse » libre du pinceau de Zhu Da (1624-1705) sur un rouleau de treize mètres de long, ou du fourmillement panthéiste qui, dans les œuvres de Shitao (1642-vers 1718) coupe le souffle.
Jusqu’au 28 juin, Galeries nationales du Grand Palais, 3, av. du Général-Eisenhower, entrée Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi 10h-20h. Catalogue, coéd. RMN/AFAA, 360 p., 200 ill., 49 euros ; Le Petit journal des grandes expositions, éd. RMN, 16 p., 30 ill., 3 euros.
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La peinture chinoise par monts et par vaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : La peinture chinoise par monts et par vaux