Fondation

Barnes déménage

Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 1033 mots

La justice américaine a autorisé la fondation à s’installer à Philadelphie.

LOWER MERION (pennsylvanie) - En dépit d’un fonds estimé à 2 000 tableaux parmi lesquels des Van Gogh, Matisse, Cézanne, Renoir et Picasso, la Fondation Barnes serait « au bord de la faillite ». Aussi, à l’issue d’une action portant sur l’avenir de l’institution, le juge a autorisé le 13 décembre le déménagement à Philadelphie de la collection installée à Merion. Le maire de Philadelphie, John Street, a annoncé qu’un terrain pourrait être mis à disposition le long de l’avenue Benjamin-Franklin.
La collection, qui est aujourd’hui estimée à des milliards de dollars, a été donnée en 1922 à la fondation par le docteur Albert Barnes en vue de promouvoir le goût et la connaissance des beaux-arts. Mais la dotation financière initiale a fondu, et l’institution est aujourd’hui incapable de couvrir ses frais de fonctionnement. Cherchant à accroître ses recettes, elle a demandé au tribunal l’autorisation de déplacer son espace d’exposition dans la métropole voisine, Philadelphie, contre le vœu même d’Albert Barnes stipulant qu’elle devait demeurer à Merion. Les autorités de cette petite commune restreignent en effet les visites et les activités liées à la collecte de fonds. En janvier 2004, le juge Stanley Ott de l’Orphan’s Court (comté de Montgomery) s’était opposé à ce déménagement, estimant que la fondation n’avait pas apporté la preuve que cette solution était la seule possible, ni même qu’elle serait de nature à résorber le déficit.
L’affaire a suscité d’énormes controverses. Dans son jugement de décembre 2004, le juge Ott a détaillé les dépositions recueillies lors des auditions de septembre, dans le souci manifeste de motiver sa décision. Trois étudiants de la fondation cités par le tribunal ont soutenu que la galerie remplissait une fonction éducative à Merion et ne devait pas déménager.
Dans la décision rendue en décembre, le juge Ott a d’abord mentionné que rien sur le plan légal ou moral n’empêchait la fondation de vendre des actifs en sa possession qui ne se trouveraient pas exposés à Merion, comme des biens immobiliers ou des œuvres en réserve, à l’instar des 3 000 pièces d’art décoratif du XVIIIe siècle stockées dans une ferme en ruine.
Des professionnels des musées, invoquant l’interdiction pour les musées américains de vendre leur patrimoine artistique à seule fin d’assurer leurs dépenses courantes, avaient contesté la décision précédente du juge statuant que le mandat d’Albert Barnes autorisait explicitement de telles ventes. Mais le juge Ott a affirmé que le docteur Barnes avait un objectif éducatif et qu’il avait voué la demeure de Merion à servir « d’école, et non de musée ». Concernant « la légalité de la vente de pièces non exposées », rien ne suggère l’existence d’une barrière légale, a-t-il ajouté.

Violation du mandat du donateur ?
Se référant à la vente d’un terrain de 65 ha légué par le docteur Barnes à Ker-Feal dans le comté de Chester (Pennsylvanie), le juge a relevé que, malgré ses instructions d’y établir « un musée d’art vivant et un jardin botanique », ces projets étaient encore « à l’étude » cinquante ans après sa mort et n’avaient pu empêcher la vente du terrain. De plus, même si les ventes envisagées avaient lieu, selon les dépositions recueillies lors des auditions, la fondation ne pourrait en tirer suffisamment d’argent pour demeurer à Merion et payer sa dette au fisc, a estimé le juge.
Les sommes tirées de la vente des terrains et des objets d’art non exposés ne pourraient guère dépasser 20 millions de dollars et le million de revenu annuel qu’on pourrait en attendre « n’interromprait pas la chute vertigineuse des finances de la fondation ». Selon lui, la laisser en l’état n’attirerait ni les bienfaiteurs ni « les donateurs de premier rang », et « aucune solution consistante n’est apparue » en vue d’accroître les recettes ordinaires à Merion. « Le rêve d’augmenter le prix d’entrée » s’est révélé « plus irréaliste que jamais ».
L’annexe envisagée à Philadelphie pourrait être édifiée avec un budget de 100 millions de dollars à réunir avec l’aide du Pew Charitable Trusts et de la Lenfest Foundation, a affirmé le juge. Le bâtiment projeté devrait être construit au centre de Philadelphie sur un terrain qui, on l’espère, serait donné. L’expert de la fondation pour les frais de construction, Harry Perks, du cabinet Perks Reutter Associates, s’est montré « inébranlable » sur la possibilité d’édifier ce bâtiment dans les limites du budget, et selon le juge Ott, la fondation « s’est acquittée [sur ce point] de la charge de la preuve ».
Quant à la charge financière entraînée par cette troisième implantation, elle pourrait être compensée par l’utilisation de la nouvelle annexe de Philadelphie comme lieu d’exposition et d’éducation artistique, Merion conservant les services administratifs et les activités horticoles, et Ker-Feal le musée vivant. Citant des « témoins très importants » convoqués par la fondation lors des auditions, et une étude de projection sur le fonctionnement sur trois sites réalisée par Deloitte Consulting, filiale de Deloitte & Touche, le juge a affirmé que la fondation avait démontré la viabilité de son projet. Mais ce ne sera pas facile, a-t-il noté en s’appuyant sur l’expertise financière du développeur John Callahan : la fondation aura à « agir rapidement, travailler activement, et s’y employer exclusivement », afin de « transformer ce rêve en réalité ».
Beaucoup estimeront, a prédit le juge Ott, « qu’autoriser ce déménagement à Philadelphie constitue une violation flagrante du mandat de leur donateur ». Mais les archives de la fondation consultées au cours des auditions l’ont conduit « à penser autrement », selon ses propres termes, relevant que « le docteur Barnes espérait que sa collection trouve un public beaucoup plus vaste après sa mort ». Il a enfin formulé une mise en garde à propos de la somme « ambitieuse » à réunir : si le seuil attendu n’est pas atteint, « il devra se passer quelque chose », ajoutant qu’« il n’y a pas si longtemps », on assurait « avec des protestations véhémentes » que la Fondation Barnes ne chercherait jamais à déplacer ses salles d’exposition à Philadelphie. Dans ces conditions, « rien ne saurait plus nous surprendre », a-t-il conclu.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Barnes déménage

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